Une rétrospective sur un chef-d’œuvre rare : le roman de chevalerie Mabrian.

L’histoire littéraire française regorge de trésors oubliés, mais parfois, ces joyaux refont surface pour éblouir les amateurs et les spécialistes. Parmi ces œuvres, le roman de chevalerie intitulé Mabrian occupe une place à part, en raison de sa rareté exceptionnelle et de son importance culturelle.

Un livre rare aux origines fascinantes

Imprimé à Paris par Jacques Nyverd pour Galliot Du Pré aux alentours de 1525, Mabrian constitue la dernière partie du cycle épique des Quatre fils Aymon, une saga bien connue de la littérature médiévale française. Le titre complet de l’ouvrage est : Histhoire singuliere & fort recreative Contenant la reste des faitz & Gestes des quatre filz Aymon, Regnault, Allard, Guichard, et le petit Richard. Et de leur cousin le subtil Maugis (lequel fut pape de Romme) Semblablement La cronicque & hystoire du chevaleureux preux & redoubte prince Mabrian Roy de Hierusalem Lequel fut filz du vaillant Regnault de montauban. Aussi y sont comprins les vertueulx faitz darmes Des enffans dudict mabrian, & autres de luy yssus et descenduz. Et plusieurs aultres choses singulieres. L’ouvrage narre les aventures extraordinaires de Mabrian, petit-fils de Renaut de Montauban, et explore un univers où se croisent bravoure, loyauté et enjeux politiques sous le règne de Charlemagne. Il s'agit d'une mise en prose d'une chanson de geste bourguignonne datant de 1462, adaptée avant 1480 par Guy Bounay et Jehan Le Cueur. Ces derniers se sont éloignés des manuscrits en prose précédents pour, selon certains experts comme François Suard, se rapprocher d'une version en vers aujourd’hui disparue.

Une précieuse édition originale

Le volume, imprimé en lettres gothiques sur deux colonnes, est enrichi de 32 superbes gravures sur bois, lesquelles illustrent les scènes clés de cette épopée. Le titre est encadré d’une belle ornementation et le verso du dernier feuillet arbore la marque typographique de Jacques Nyverd. Cette première édition de Mabrian est aujourd'hui connue à travers seulement trois exemplaires, ce qui en fait une véritable perle pour les bibliophiles.

Un exemplaire se trouve à la Bibliothèque nationale de France (BnF), ayant été acquis après avoir traversé de nombreuses mains. Ce dernier, bien que très endommagé et coloré maladroitement, constitue une pièce d’une valeur inestimable. Un deuxième exemplaire est conservé à la British Library et relié en maroquin janséniste. Enfin, le troisième exemplaire, celui que nous mettons ici en lumière, est le seul en mains privées.

Un parcours édifiant à travers l’histoire

L’exemplaire étudié a une histoire aussi captivante que le texte qu’il contient. Relié en maroquin rouge au XVIIIe siècle, il a appartenu à des figures marquantes de la bibliophilie. Parmi elles, Louis-Jean Gaignat, conseiller-secrétaire du roi sous Louis XV, dont la collection de livres était si prestigieuse qu’elle fut documentée comme un supplément à la « Bibliographie instructive » de Guillaume-François Debure. Ce volume fut adjugé lors de la vente Gaignat à Guillaume Debure, avant de rejoindre la bibliothèque de Michael Wodhull, un collectionneur britannique reconnu pour sa passion pour les impressions françaises du XVIe siècle.

Une redécouverte moderne

Après être passé entre les mains de grands bibliophiles, cet exemplaire a réintégré le marché français au début du XXe siècle. Proposé par Édouard Rahir, il entra dans une collection privée française où il demeura jusqu’à aujourd’hui. La mise aux enchères récente de ce trésor, le 6 novembre 2024, par la maison ALDE, spécialisée dans les livres anciens, a été un événement marquant. Estimé entre 8 000 et 10 000 euros, il a finalement été adjugé pour la somme étonnante de 45 000 euros, témoignant de l’intérêt soutenu pour les œuvres historiques rares.

Le roman de chevalerie Mabrian n’est pas seulement un témoignage de la riche tradition épique française, mais aussi une pièce unique dans l’histoire de la bibliophilie. Son contenu, élaboré à partir de chansons de geste et enrichi d’illustrations gothiques, reflète à la fois la culture de son époque et l’évolution de l’imprimerie au XVIe siècle. Cet exemplaire, en particulier, incarne l’essence de la rareté et de la préservation patrimoniale, continuant de fasciner les amateurs de littérature et d’histoire.

Ainsi, Mabrian nous rappelle que les livres sont bien plus que de simples objets : ils sont des porteurs d’émotions, de culture et d’épopées intemporelles.