Voyages et utopies cosmiques au XVIIe siècle : trois œuvres visionnaires sur la pluralité des mondes.

L’astronomie et les spéculations sur la pluralité des mondes ont profondément marqué l’imaginaire européen du XVIIe siècle, une période où la science se développait et où les théories cosmologiques étaient en pleine mutation. Parmi les œuvres marquantes de cette époque, trois textes majeurs ont jeté un pont entre la science, la philosophie et la fiction : Le Monde dans la Lune de John Wilkins, Voiage du monde de Descartes de Gabriel Daniel, et le Nouveau traité de la pluralité des mondes de Christian Huygens. Ces auteurs, respectivement anglais, français et hollandais, ont chacun exploré des concepts qui allaient au-delà des connaissances de leur temps, ouvrant la voie à des réflexions qui préfigurent l’ère moderne de l’astronomie.

John Wilkins et la Lune : un monde habitable

En 1638, John Wilkins, écrivain et savant anglais, publia La Découverte d’un monde dans la Lune, un ouvrage pionnier dans les spéculations scientifiques sur la possibilité que la Lune soit habitée. Membre fondateur de la Société royale de Londres, Wilkins s’inspire des idées révolutionnaires de Copernic, Kepler et Galilée. Il ne voit pas la Lune comme un simple disque brillant mais comme un monde en soi, doté de paysages comparables à ceux de la Terre. En 1656, une traduction française intitulée Le Monde dans la Lune est publiée à Rouen, avec le texte divisé en deux parties : la première prouve que la Lune peut être un monde, et la seconde que la Terre peut être une planète.

Wilkins prédit, avec une étonnante clairvoyance, l’invention de la navigation aérienne et des voyages interplanétaires. Ces idées utopiques feront de Le Monde dans la Lune une œuvre majeure de l’époque, influençant des auteurs tels que Cyrano de Bergerac, Jonathan Swift ou encore Voltaire. En associant à la fois rigueur scientifique et imagination, Wilkins propose une vision audacieuse de l’univers, dans laquelle la Lune, tout comme la Terre, pourrait être habitée.

Cet ouvrage, publié pour la première fois en anglais, fut mis à l’index en 1703 en raison de ses idées trop novatrices pour l’Église. Cependant, il continue de fasciner par sa capacité à combiner des éléments scientifiques avec une spéculation philosophique sur les voyages dans l’espace, faisant écho aux débats de l’époque sur la nature de l’univers.

Gabriel Daniel et la satire cartésienne : le Voiage du monde de Descartes

Si Wilkins imaginait une Lune habitable, Gabriel Daniel, historiographe jésuite français, choisit un tout autre angle pour aborder les questions cosmologiques. Dans son Voiage du monde de Descartes, publié en 1690, Daniel se lance dans une satire mordante des théories cartésiennes, en particulier de la théorie des tourbillons de Descartes. Sous la forme d’un voyage imaginaire, l’auteur emmène le lecteur dans un périple à travers la physique et la métaphysique de Descartes, en compagnie du fantôme de Marin Mersenne, célèbre ami et correspondant du philosophe.

L’ouvrage de Daniel critique ouvertement l’absence de fondements concrets dans les théories cartésiennes, notamment l’idée que les tourbillons expliquent le mouvement des planètes et nient l’existence du vide. En s’inspirant de l'Enfer de Dante, Daniel crée une œuvre qui, bien qu’amusante, aborde l’un des débats les plus importants du XVIIe siècle : la question de la nature du vide et des forces qui régissent le mouvement céleste.

Daniel ne se contente pas de critiquer Descartes ; il se moque également des spéculations sur la Lune en ridiculisant les écrits de Cyrano de Bergerac, pour qui la Lune pourrait être peuplée d’habitants. Son Voiage est une œuvre pleine d’humour mais aussi une contribution importante au débat scientifique de l’époque. Le livre connut un grand succès, traduit en plusieurs langues, et se prolongea avec la publication d’un complément en 1693 : Nouvelles difficultez proposées par un péripatéticien à l’auteur du voyage du monde de Descartes.

Christian Huygens et la pluralité des mondes

Le troisième auteur à avoir marqué cette période de réflexion sur les mondes extraterrestres est Christian Huygens, célèbre astronome et mathématicien hollandais. Élu membre de la Royal Society en 1663 et de l’Académie royale des sciences en 1666, Huygens est l’un des grands savants du XVIIe siècle. Il est surtout connu pour ses découvertes sur Saturne, dont il identifia les anneaux en 1654 et découvrit le satellite Titan.

En 1698, il publie un traité en latin intitulé Cosmotheoros, qui sera traduit en français sous le titre Nouveau traité de la pluralité des mondes en 1702. Contrairement à Wilkins ou Daniel, l’approche de Huygens est plus scientifique que satirique ou utopique. Il y combine ses observations astronomiques avec des réflexions philosophiques sur la possibilité d’autres mondes habités dans l’univers.

Divisé en deux parties, le traité explore d’abord la nature des mondes extraterrestres, puis imagine comment ces mondes pourraient apparaître vus depuis d’autres planètes. Huygens s’appuie sur ses découvertes scientifiques pour émettre des hypothèses sur la pluralité des mondes autour du Soleil et d’autres étoiles. Son ouvrage, bien qu’ancré dans des observations réelles, laisse une grande place à la spéculation, mêlant science et philosophie dans un texte qui occupe une place à part dans son œuvre.

Des œuvres entre science et fiction

Ces trois œuvres, chacune à sa manière, reflètent l’effervescence intellectuelle du XVIIe siècle, une époque où la frontière entre science, philosophie et littérature était souvent floue. Wilkins, Daniel et Huygens, par leurs écrits, ont non seulement contribué au débat scientifique de leur temps mais ont aussi ouvert la voie à une réflexion plus large sur la place de l’humanité dans l’univers.

Leurs ouvrages sont à la croisée de l’utopie et de la science. En explorant des mondes imaginaires, qu’ils soient sur la Lune ou autour d’autres étoiles, ces auteurs nous invitent à repenser les limites du possible. Ces textes continuent d’inspirer les lecteurs modernes, offrant un fascinant aperçu des premières tentatives humaines de comprendre l’immensité du cosmos.