William Beckford : la vie extraordinaire d’un bibliophile anglais aux multiples facettes.

Issu d'une famille prospère ayant fait fortune en Jamaïque grâce aux plantations de canne à sucre, William Beckford est né à Londres en 1760. Très tôt orphelin de père, ce futur écrivain et grand collectionneur de livres se distingue rapidement par ses ambitions littéraires et politiques. Son père, membre influent du Parlement et deux fois lord-maire de Londres, laissa à William, dès ses dix ans, une immense fortune qui allait marquer le reste de son existence.

Après une éducation soignée, notamment à Genève, il publia en 1780 son premier ouvrage, Biographical memoirs of extraordinary painters. Ce livre, édité à Londres par J. Robson, est le point de départ d’une carrière littéraire singulière. Beckford, attiré par les voyages, parcourt ensuite l’Europe, se rendant en Hollande, en Allemagne, en Italie, et en France, où il rencontre des figures marquantes de l’époque, dont Voltaire à Ferney.

Une vie marquée par les scandales et l’exil

En 1783, Beckford épousa Margaret Gordon, fille de Charles Gordon, 4e comte de Aboyne. Cependant, un scandale éclata rapidement, compromettant sa réputation. En 1784, il fut accusé d’avoir séduit William Courtenay, un jeune noble de seize ans, au château de Powderham. Bien que membre du Parlement, Beckford fut contraint de fuir en Suisse avec sa femme, s’installant à La Tour-de-Peilz. Ce scandale mit fin à ses ambitions politiques, mais il poursuivit ses voyages, tentant de trouver refuge dans l’exploration de nouveaux horizons.

La mort tragique de sa femme en 1786, après la naissance de leur deuxième fille, plongea Beckford dans une profonde tristesse. Se considérant comme « le plus riche des fils de l’Angleterre », selon les mots de lord Byron, il entreprit de nouveaux voyages à travers l’Europe. Son séjour au Portugal, à Sintra, marqua particulièrement cette période de sa vie. Installé dans sa villa de Monserrate, il développa une passion pour ce pays, où il vécut deux ans.

Le rêve d’un château monumental

Revenu en Angleterre, Beckford entreprit un projet architectural d’envergure : la construction de Fonthill Abbey, un château gothique aux proportions imposantes, situé à proximité de Fonthill Splendens, le domaine familial. Ce projet, débuté en 1796 sous la direction de l’architecte James Wyatt, reflète les excentricités de Beckford. La tour octogonale de 86 mètres de hauteur, qui dominait la région, devint le symbole de sa quête d’isolement. Vivant en reclus, entouré de domestiques, Beckford excitait l’imagination de ses contemporains, fascinés par les mystères entourant son domaine.

C’est également dans cette abbaye qu’il réunit l’une des bibliothèques les plus prestigieuses d’Europe. Passionné de livres anciens, Beckford accumula une collection unique de volumes précieux, en particulier des éditions Aldines et Elzéviriennes, deux collections prisées des bibliophiles. Ces trésors littéraires, souvent reliés de manière somptueuse, font encore aujourd’hui la renommée de sa bibliothèque. Parmi les ouvrages qui décrivent cette impressionnante collection, le Repertorium bibliographicum de William Clarke (1819) est particulièrement précieux. Il consacre de nombreuses pages à la description des livres rares acquis par Beckford, offrant ainsi une vision détaillée de cette bibliothèque hors du commun.

La chute de Fonthill Abbey et la dispersion de ses trésors

Le rêve monumental de Beckford ne pouvait pas durer éternellement. En raison de la pression économique liée au mouvement abolitionniste, qui réduisit considérablement ses revenus provenant des plantations en Jamaïque, Beckford fut contraint de vendre Fonthill Abbey en 1823. La vente inclut une partie de sa collection, notamment 20 000 volumes. L’acquéreur, John Farquhar, ancien officier ayant fait fortune en Inde, entra en possession de ce trésor. Beckford, quant à lui, se retira à Bath, où il fit construire la Lansdown Tower, une nouvelle demeure qui, selon certains, fut érigée pour garder la vue sur la tour de Fonthill Abbey, son éternel regret.

Cette tour, bien plus qu’un simple refuge, devint le sanctuaire de sa passion pour les livres. Ses jours s’écoulaient dans un rythme réglé par ses habitudes bibliophiliques : levé dès l’aube, Beckford passait ses matinées à lire, annoter, et étudier les livres. Il entretenait une correspondance régulière avec des libraires et marchands, toujours à la recherche de nouveaux trésors littéraires. Ses après-midis étaient dédiés à la gestion de ses terres, souvent entrecoupées par des réceptions, comme celle donnée en l’honneur de lord Nelson en 1800.

Un auteur mystérieux et un lecteur insatiable

Le chef-d’œuvre de Beckford, Vathek, publié en 1787 en deux éditions distinctes, reflète son intérêt pour les littératures orientales. Contrairement à ce que prétend Stéphane Mallarmé dans sa préface à l’édition de 1876, les deux versions de Vathek sont bien différentes. L’une, publiée à Lausanne chez Isaac Hignou, fut rédigée avec l’aide du médecin lausannois François Verdeil. Ce roman, inspiré par l’histoire du calife Vathek, symbolise l’obsession de Beckford pour la démesure et l’isolement, à l’image de son propre repli à Fonthill Abbey.

Beckford restera dans l’histoire non seulement comme un écrivain, mais aussi comme l’un des plus grands bibliophiles de son temps. Sa bibliothèque, dont une partie fut finalement léguée à sa fille Susannah, duchesse d’Hamilton, fut dispersée bien après sa mort, à partir de 1882, lors de plusieurs ventes aux enchères à Londres. Le Catalogue of the Beckford Library, vendu par Sotheby’s, est aujourd’hui une référence incontournable pour les amateurs de livres anciens.

Un héritage littéraire et bibliophilique

William Beckford s’éteignit en 1844, laissant derrière lui un héritage complexe, mêlant richesse, excentricité, et amour des livres. Ses contributions à la littérature, notamment Vathek, et ses acquisitions bibliophiliques continuent d’inspirer les amateurs d’art et de littérature. Son goût pour les livres rares et précieux, qu’il entretenait avec passion, et ses bibliothèques, décrites comme des sanctuaires littéraires, restent à ce jour des symboles d’une époque où la collection de livres constituait une véritable forme d’art.

Son influence dépasse largement le cadre littéraire et rappelle à quel point la bibliophilie peut être un art de vivre. Beckford, dans son retrait solitaire, a prouvé qu’une vie dédiée aux livres pouvait créer un univers à part entière, un univers où le collectionneur devient, en quelque sorte, le gardien d’un patrimoine culturel inestimable.