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Arthur Rimbaud vu par Paul Verlaine : le portrait d’un mythe en marche.
Dans l’histoire littéraire, rares sont les témoignages visuels aussi évocateurs que celui que Paul Verlaine a laissé de son compagnon de plume et d’errance, Arthur Rimbaud. Le croquis réalisé par Verlaine en juin 1872, intitulé Portrait d’Arthur Rimbaud, est bien plus qu’un simple dessin : c’est une porte ouverte sur une époque tumultueuse, un instantané immortalisant l’aura de mystère et de fascination qui enveloppe encore aujourd’hui la figure du jeune poète de Charleville.
Un croquis chargé d’histoire et de symbolisme
Réalisé à la plume et à l’encre brune, ce petit dessin de 12,7 x 9,9 cm est monogrammé « P.V. » et daté de juin 1872. Sa fluidité et l’absence de repentir dans les traits témoignent d’une exécution instinctive, presque impulsive, comme si Verlaine avait voulu capturer d’un seul jet l’essence de celui qu’il considérait comme un génie précoce. Jean-Jacques Lefrère, dans son ouvrage Face à Rimbaud (éd. Phébus, 2006), suggère d’ailleurs que ce croquis a probablement été « jeté sur le papier » avec une spontanéité caractéristique.
Ce portrait a connu une postérité particulière puisqu’il fut choisi par Verlaine pour orner le frontispice des Poésies complètes d’Arthur Rimbaud, publiées en 1895 chez Léon Vanier, peu avant la mort de Verlaine. Ainsi, ce dessin est devenu non seulement un témoignage d’amitié et d’admiration, mais aussi une image emblématique, associée à l’héritage littéraire de Rimbaud.
Un objet rare et précieux
La provenance de ce croquis ajoute à son aura. Après avoir appartenu à l’éditeur Léon Vanier et à sa veuve, l’œuvre a rejoint la collection de Paul-Louis Weiller, mécène et collectionneur, avant de passer entre les mains d’Hugues Gall, ancien directeur de l’Opéra de Genève et de l’Opéra de Paris, décédé en 2024. Ces transferts témoignent de la valeur inestimable de ce type de documents liés à Rimbaud, dont les traces matérielles sont particulièrement rares.
Dans l’univers restreint des portraits du poète, ce dessin occupe une place unique. À ce jour, les représentations les plus connues de Rimbaud restent les deux photographies réalisées par Étienne Carjat en 1871 et la scène peinte par Henri Fantin-Latour, Un coin de table (1872), où Rimbaud et Verlaine apparaissent côte à côte. Ce croquis vient enrichir ce corpus iconographique limité, en offrant une vision plus personnelle et intime du jeune prodige.
Un hommage empreint d’émotion
Dans ce dessin, Verlaine met en avant une facette de Rimbaud qui transcende les récits sulfureux souvent associés à l’adolescent rebelle. Loin des descriptions de nuits d’ivresse et d’égarements, le poète représente son ami comme un jeune homme élancé, marchant d’un pas décidé, une pipe à la main. Ce choix iconographique illustre une vision idéalisée : celle d’un être en quête de son destin, d’une figure littéraire promise à l’éternité.
Verlaine précise que ce portrait a été réalisé « de mémoire », une annotation qui figure sur certaines versions du croquis. Ce détail soulève des interrogations : s’agit-il d’un souvenir fidèle ou d’une reconstruction teintée d’émotion ? Une autre version de ce dessin, conservée dans les collections du musée Rimbaud et issue de l’ancienne collection du libraire Henri Matarasso, ne comporte pas cette mention. Ces variations renforcent l’idée que ce croquis est autant une création artistique qu’un acte de mémoire.
Une œuvre controversée mais essentielle
Malgré l’admiration que suscite le dessin, il n’a pas été du goût de tout le monde. Isabelle Rimbaud, sœur d’Arthur, a exprimé sa désapprobation dans une lettre adressée à Léon Vanier : « J’ai été étonnée en voyant les deux petits croquis qui ne m’ont rappelé ni de près ni de loin l’auteur des Poésies complètes. » Cette critique souligne l’écart entre l’image construite par Verlaine et la perception familiale de Rimbaud.
Pourtant, dans la préface des Poésies complètes, Verlaine avait pris soin de rendre hommage à la volonté d’indépendance et à l’esprit frondeur de Rimbaud. Le dessin, par sa simplicité et sa symbolique, reflète cette même essence. Il cristallise une vision poétique et affective, loin des conventions réalistes.
Paul Verlaine (1844-1896), Portrait d’Arthur Rimbaud, juin 1872, dessin à la plume et encre brune sur papier, titré, daté, et monogrammé « P.V. », 12,7 x 9,9 cm. Estimation : 100 000/200 000 €
Rimbaud en marche : un symbole intemporel
Au-delà de l’œuvre graphique, ce croquis incarne l’idée même de mouvement, de quête et de rébellion, des notions indissociables de l’imaginaire rimbaldien. Le jeune homme représenté par Verlaine marche vers un avenir incertain, un avenir qui le verra abandonner la poésie pour se perdre dans des aventures lointaines. Ce croquis, exécuté au cœur de l’une des périodes les plus chaotiques de leur relation, devient ainsi une métaphore visuelle de la trajectoire fulgurante et complexe de Rimbaud.
En résumé, le Portrait d’Arthur Rimbaud de Paul Verlaine dépasse le simple statut de croquis pour devenir une pièce maîtresse du mythe rimbaldien. Il témoigne d’un lien artistique et affectif entre deux poètes dont les destins, bien que divergents, restent à jamais liés. Ce dessin, à la fois hommage et souvenir, continue d’alimenter notre fascination pour l’étoile filante qu’a été Arthur Rimbaud.
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