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L'Albanie en deuil : hommage national à Ismaïl Kadaré, monument de la littérature.

L'Albanie est en deuil. Le pays pleure la disparition d'Ismaïl Kadaré, figure emblématique de la littérature, décédé ce lundi. Cet écrivain de renommée mondiale avait fait de sa plume une arme puissante contre les dictatures, transformant ses mots en outils de résistance et de liberté. Aujourd'hui, une « voix monumentale » s'éteint, mais son œuvre puissante et libre continue de résonner à travers les générations.

Les 2 et 3 juillet, les drapeaux albanais seront en berne en hommage à Kadaré. Le Premier ministre Edi Rama a annoncé cette marque de respect nationale, soulignant l'importance de l'auteur pour la culture albanaise. Mercredi matin, l'Albanie rendra un hommage solennel à ce héros des lettres avec des cérémonies à l'opéra, accompagnées par des marches funèbres diffusées sur les radios et télévisions publiques. « Ismaïl Kadaré est désormais sur le piédestal de l'éternité, et aucun mot ne me vient », a déclaré Edi Rama, rendant hommage à celui qu'il considère comme le plus grand monument de la culture albanaise.

Ismaïl Kadaré a commencé à écrire très jeune. Né en 1936, il étudie les lettres à l'Université de Tirana et à l'Institut Gorki de Moscou. Sa carrière débute réellement en 1963 avec la parution de son premier roman, "Le Général de l'armée morte", qui lui apporte une renommée immédiate en Albanie et à l'étranger. Suivent des œuvres marquantes comme "Chronique de la ville de pierre" et "Les Tambours de la pluie".

Dans les années 1970, bien que nommé député et contraint d'adhérer au Parti communiste albanais, Kadaré ne cesse de critiquer le régime. Ses œuvres, publiées souvent à l'étranger pour échapper à la censure, témoignent de sa lutte contre le totalitarisme. Son roman "Avril brisé" (1980) et "Le Dossier H." (1989) sont des exemples de cette charge corrosive contre la dictature.

En 1990, menacé par le régime, Kadaré s'exile en France où il obtient l'asile politique. Il continue d'y écrire et publie "La Pyramide" en 1992. Il devient membre associé de l'Académie des sciences morales et politiques en 1996, succédant à Karl Popper.

Ismaïl Kadaré a redimensionné non seulement la littérature albanaise mais aussi toute la société de son pays. Ses œuvres, traduites en quarante langues, ont placé l'Albanie sur la carte littéraire mondiale. Selon Persida Asllani, responsable du département de littérature à l'Université de Tirana, Kadaré a accompli sa mission d'écrivain en éclairant les ténèbres du passé et en faisant vivre l'histoire avec une vérité poignante.

La perte de Kadaré a résonné au-delà des frontières de l'Albanie. Le Premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, a salué un auteur qui, depuis les ténèbres de la dictature, a été une lueur de créativité et de liberté. La présidente kosovare, Vjosa Osmani, a pleuré la perte d'une voix monumentale, qualifiant Kadaré de trésor unique.

En France, où Kadaré a vécu de nombreuses années, Jack Lang, ancien ministre de la Culture, a rendu hommage à son ami, saluant ses œuvres comme des manifestes contre toutes les formes de totalitarisme. Les éditions Fayard, qui ont publié de nombreux ouvrages de Kadaré, ont exprimé leur douleur face à la perte de cet immense écrivain dont les mots résonnent encore aujourd'hui.

Avec une cinquantaine d'ouvrages à son actif, Kadaré a laissé un héritage durable. Ses romans, essais, nouvelles, poèmes et pièces de théâtre, en grande partie écrits sous la dictature d'Enver Hoxha, ont traversé les frontières et les époques. « Il a fait vivre l'histoire », affirme Katerina Hysenllari, une étudiante de Tirana, ajoutant que Kadaré a permis à l'Albanie de comprendre son passé et d'apprécier l'art d'écrire.

Kadaré était plus qu'un écrivain ; il était une figure de la liberté. Sa plume inlassable a toujours été alimentée par son engagement pour la liberté, défiant les contraintes politiques et artistiques de son temps. En 2005, il est devenu le premier lauréat de l'International Booker Prize pour l'ensemble de son œuvre, une reconnaissance de son influence mondiale.

La mort de Kadaré est une perte immense pour la littérature albanaise et mondiale, mais comme le rappelle Zylyftar Bregu, passionné de littérature : « Un écrivain ne nous quitte que physiquement, son œuvre reste pour des siècles. »

Ismaïl Kadaré a marqué son époque par son talent, sa bravoure et son dévouement à la vérité. Alors que l'Albanie porte son deuil, ses mots continueront d'éclairer et d'inspirer.

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