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Charles Cousin : portrait d'un bibliophile d’exception et de ses trésors.
Dans le monde de la bibliophilie, le nom de Charles Cousin évoque immédiatement une figure emblématique : un érudit passionné, un collectionneur acharné et un homme aux multiples facettes. Né le 15 avril 1822 à Avallon, en Bourgogne, Cousin fut bien plus qu’un simple accumulateur de livres et d’objets rares. Il incarna à la perfection l’esprit du XIXe siècle, où érudition, goût pour les belles choses et curiosité universelle se conjuguaient avec une vision humaniste et sociable de la vie.
Un homme aux multiples talents
Fils de Gilbert-Marie Cousin, ingénieur des Ponts et Chaussées, et de Rose-Alexandrine-Julie Tanevot de Brasles, descendant du poète Jean de La Fontaine, Charles Cousin reçut une éducation prestigieuse. Élève au lycée Louis-le-Grand à Paris, il excella dans les concours académiques avant de se lancer dans une carrière variée. D’abord secrétaire du prince de Capoue, il entra ensuite au ministère de l’Instruction publique, avant de se tourner vers les chemins de fer.
C’est notamment durant la guerre franco-prussienne de 1870 qu’il se distingua en organisant un bataillon pour protéger les infrastructures ferroviaires, acte de bravoure qui lui valut la reconnaissance de la Compagnie des chemins de fer du Nord. Cette dernière lui attribua un appartement à Paris, rue de Dunkerque, dont le quatrième étage devint son célèbre « Grenier ».
Le « Grenier » : un temple du livre et de l’art
Le Grenier de Charles Cousin, plus qu’un simple lieu de stockage, était un sanctuaire dédié aux arts, aux livres et aux objets rares. Il reflétait la personnalité de son propriétaire : éclectique, raffiné et résolument ouvert d’esprit. Ses collections comptaient des milliers de volumes, des manuscrits précieux, des éditions rares et des reliures somptueuses, allant des incunables aux chefs-d’œuvre de la littérature romantique.
Parmi les ouvrages remarquables de sa bibliothèque, on trouve des trésors comme :
- Les œuvres en rime de Jan Antoine de Baïf (1572-1573), en reliure de Chambolle-Duru.
- Une édition exceptionnelle des Fables de La Fontaine illustrées par Oudry.
- Les Contes de Monsieur de La Fontaine, dans une édition d’Amsterdam de 1762, ornée de figures gravées et richement reliée par Derome.
- Des éditions originales comme Madame Bovary de Gustave Flaubert ou encore Jacques le Fataliste de Diderot, publiées par la Société des Amis des Livres.
Ces ouvrages, en plus de leur contenu littéraire, étaient souvent sublimés par des reliures exécutées par les plus grands maîtres, tels que Trautz-Bauzonnet, Chambolle-Duru ou Padeloup.
Un homme de sociabilité et d’esprit
Loin d’être un collectionneur reclus, Cousin était un homme de société. Il fut l’un des fondateurs de la Société des Amis des livres et joua un rôle majeur dans la franc-maçonnerie, en présidant notamment la loge « La Clémente Amitié ». Il organisa des événements culturels et des dîners littéraires où se mêlaient érudition et convivialité, en présence de figures illustres comme Émile Littré et Jules Ferry.
Il se plaisait à se surnommer « le Toqué », une manière à la fois loufoque et affectueuse de désigner son penchant pour les collections. Octave Uzanne, dans Les Zigzags d’un curieux, le décrivit avec une verve enthousiaste : « Le Toqué est bibliophile, iconophile, isophile, gastrolâtre et adéphagique... ». Cette description humoristique souligne la diversité de ses intérêts et son goût pour les plaisirs intellectuels comme matériels.
Auteur et bibliographe
Charles Cousin ne se contentait pas d’accumuler des objets précieux ; il participait également à l’enrichissement du patrimoine littéraire par ses propres publications. Parmi ses œuvres notables figurent :
- Charles Baudelaire. Souvenirs – Correspondances. Bibliographie suivie de pièces inédites (1872), en collaboration avec De Lovenjoul.
- Voyage dans un grenier (1878), une œuvre qui reflète son amour pour les objets et les livres chargés d’histoire.
- Racontars illustrés d’un vieux collectionneur (1887), une collection en deux volumes où il partage avec humour et érudition les histoires derrière ses acquisitions.
La dispersion de ses trésors
Malgré son immense passion, Charles Cousin dut, à la fin de sa vie, se résoudre à disperser une partie de ses collections, notamment pour financer ses projets éditoriaux. La vente de ses trésors à l’hôtel Drouot, en avril 1891, marqua la fin d’une époque. Le catalogue de cette vente, intitulé Collections de Charles Cousin, est lui-même devenu un objet de collection.
Les ouvrages et objets issus du Grenier étaient estimés pour leur rareté, leur qualité esthétique et leur valeur historique. Parmi les pièces les plus notables, on retient une Bible en hébreu aux fermoirs en argent ciselé, ou encore des éditions précieuses de Racine, Molière et Corneille.
Charles Cousin s’éteignit le 14 septembre 1894, laissant derrière lui un héritage à la fois matériel et spirituel. Ses collections ont enrichi les bibliothèques privées et publiques, et son influence perdure parmi les bibliophiles. À travers son Grenier, ses écrits et sa passion communicative, il incarne le bibliophile idéal : un érudit curieux, un esthète éclairé et un homme d’une grande générosité d’esprit.
Charles Cousin demeure une figure incontournable pour quiconque s’intéresse à l’histoire du livre et à l’art de collectionner. Sa vie est un rappel vibrant que l’amour des livres, loin d’être un simple passe-temps, peut devenir une philosophie de vie.
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