Comment se débarrasser des moisissures sur les livres anciens?

Il arrive, un jour ou l’autre, que le collectionneur ouvre une bibliothèque longtemps fermée, ou qu’il exhume d’un grenier une caisse de volumes hérités, et qu’il découvre avec horreur un voile grisâtre ou verdâtre qui s’étend sur les reliures et les pages. Les moisissures sont l’un des fléaux les plus redoutés des bibliophiles : elles s’infiltrent silencieusement, se nourrissent de l’humidité ambiante et dévorent la cellulose du papier comme un champignon parasite dévore le bois mort. Mais tout n’est pas perdu : il est possible de sauver ces témoins fragiles du passé, à condition d’agir avec méthode et prudence.

Comprendre l’ennemi : d’où vient la moisissure?

La moisissure naît presque toujours d’un excès d’humidité combiné à une mauvaise ventilation. Les spores, invisibles à l’œil nu, se trouvent partout : il suffit d’un taux d’humidité supérieur à 60 % et d’une température tempérée pour qu’elles se développent rapidement. Les livres, faits de papier, de colle, de carton, parfois de cuir ou de tissu, offrent un terrain fertile. L’odeur caractéristique de renfermé, mélange d’humidité et de poussière, est souvent le premier signal d’alarme.

Première étape : isoler et protéger

Dès qu’un livre contaminé est repéré, il faut l’éloigner des autres. Comme une maladie contagieuse, la moisissure se propage facilement d’un volume à l’autre. On place donc l’ouvrage dans un espace ventilé, sec et lumineux (mais pas en plein soleil, qui brûlerait le papier). L’idéal est une pièce chauffée et aérée où l’humidité relative ne dépasse pas 50 %. Pendant ce temps, la bibliothèque doit également être inspectée pour vérifier si d’autres volumes sont atteints.

Nettoyage mécanique : une chirurgie délicate

Le premier soin consiste à enlever la moisissure visible en surface. Cette opération exige douceur et patience. On utilise un pinceau souple (type pinceau à aquarelle) ou un chiffon sec en microfibre, et surtout pas d’éponge humide qui réactiverait les spores. Chaque geste doit être mesuré : frotter trop vigoureusement risque d’abîmer les fibres du papier ou la dorure d’une reliure. Pour les cas plus lourds, certains restaurateurs emploient de petites gommes spéciales ou des aspirateurs munis de filtres HEPA et de buses très fines, destinés à retenir les spores sans agresser le livre.

Assécher et purifier

Une fois la surface nettoyée, il est essentiel de priver la moisissure de ce dont elle se nourrit : l’humidité. On place le livre dans un endroit sec, parfois même dans une boîte hermétique avec du gel de silice, qui absorbe l’excès d’eau. Ce procédé ne tue pas les spores, mais les rend inactives. Certains bibliophiles ajoutent une étape supplémentaire en utilisant des lampes à rayons ultraviolets, qui stérilisent en surface. Mais l’usage des UV doit rester mesuré, car ils fragilisent aussi le papier.

Traiter sans nuire

Le recours à des produits chimiques est une tentation fréquente, mais il peut se révéler plus destructeur que la moisissure elle-même. L’alcool isopropylique dilué, appliqué avec un coton légèrement imbibé, peut parfois être utilisé pour nettoyer des reliures en cuir, mais il est déconseillé sur le papier. Les sprays antifongiques du commerce, conçus pour la maison, doivent être bannis : ils tachent, déforment et abîment irrémédiablement les volumes. Les solutions les plus sûres restent mécaniques et préventives. Quand un livre présente une valeur patrimoniale importante, il vaut mieux confier son traitement à un restaurateur professionnel.

Prévenir plutôt que guérir

La lutte contre la moisissure est d’abord une affaire de prévention. Un livre ancien n’aime ni les caves, ni les greniers, ni les pièces humides. La bibliothèque idéale se trouve dans un espace tempéré (18–20 °C), avec un taux d’humidité autour de 45 %. Une circulation d’air régulière est essentielle, tout comme la poussière doit être enlevée souvent, car elle retient l’humidité et nourrit les spores. Enfin, l’usage de boîtes de conservation neutres et de papiers sans acide permet de limiter les attaques fongiques et de prolonger la vie des volumes.

La patience du bibliophile

Sauver un livre moisi n’est pas une tâche que l’on accomplit en une seule journée. C’est une œuvre de longue haleine, qui demande observation, rigueur et respect du matériau. Mais il y a, dans cette lutte discrète contre l’invisible, quelque chose de profondément satisfaisant. Chaque page sauvée, chaque reliure préservée, c’est un fragment d’histoire que l’on arrache à l’oubli et au temps. Car au fond, le bibliophile n’est jamais seulement un lecteur : il est aussi le gardien d’une mémoire.

Références

• Barrios, C. Préservation des collections patrimoniales : manuels de conservation préventive. Éditions du Patrimoine, 2017.

• Cloonan, M. V. Preserving Paper Collections. Rowman & Littlefield, 2019.

• National Archives (UK). Mould: prevention and cure, guide en ligne.

• Bibliothèque nationale de France. Conserver les collections : les moisissures. Ressources pédagogiques, BnF, 2020.

• Florian, M.-L. E. Fungal Facts: Solving Fungal Problems in Heritage Collections. Archetype Publications, 2002.