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Édouard Rahir, un monument de la bibliophilie.
La passion des livres a souvent conduit des hommes à se consacrer entièrement à leur collection, leur conservation et leur transmission. Parmi ces figures éminentes se distingue Édouard Rahir, un nom qui résonne avec éclat dans l’histoire de la librairie ancienne et de la bibliophilie. Né à Épernay en 1862, Rahir a non seulement marqué de son empreinte le commerce des livres rares, mais il a aussi contribué à l’enrichissement du patrimoine littéraire et bibliographique français.
Une formation auprès des grands : Morgand et Fatout
À l’âge de 16 ans, Édouard Rahir intègre la prestigieuse librairie Morgand et Fatout, fondée en 1854 par Ernest Caen et reprise en 1874 par Damascène Morgand. La librairie, située passage des Panoramas à Paris, devient rapidement le lieu de rencontre privilégié des bibliophiles, où se croisent des figures aussi éminentes que James de Rothschild, Émile Picot, ou encore le prince d’Essling. Dans cet environnement stimulant, Rahir développe une profonde connaissance des livres anciens, s’immergeant dans l’étude des œuvres littéraires et acquérant une expertise qui le place rapidement parmi les éléments clés de la librairie.
Successeur et innovateur
En 1882, à la mort de Charles Fatout, Rahir prend une place de plus en plus centrale au sein de la librairie. Il devient l’acheteur principal, non seulement à Paris mais également lors de voyages à l’étranger, où il acquiert des ouvrages rares pour une clientèle internationale. En 1897, à la disparition de Damascène Morgand, c’est tout naturellement qu’Édouard Rahir reprend les rênes de la librairie. Pendant vingt-cinq ans, il achète et vend les plus beaux livres anciens et modernes, faisant de la librairie Morgand une référence incontournable dans le domaine.
La rédaction des catalogues : une œuvre d'érudition
L’une des grandes contributions d’Édouard Rahir à la bibliophilie réside dans la rédaction de nombreux catalogues de vente, qui demeurent aujourd’hui des références pour les amateurs et les chercheurs. Dès 1891, il s’occupe de la vente de la bibliothèque de M. Destailleur, un travail de longue haleine qui se poursuivra jusqu’en 1895. Le catalogue le plus marquant est sans doute celui de la collection Dutuit, publié en 1899, qui témoigne de recherches approfondies sur la provenance, la typographie et l’illustration des livres d’heures.
La bibliothèque de l'amateur : un guide indispensable
En 1907, Édouard Rahir publie La bibliothèque de l’amateur, un manuel destiné à guider les collectionneurs à travers les livres les plus estimés. Ce guide, qui sera réédité en 1924 dans une version revue et augmentée, constitue un véritable condensé des connaissances accumulées par Rahir au fil des ans. Il y réunit non seulement un dictionnaire des livres les plus recherchés, mais aussi des tableaux méthodiques regroupant les ouvrages selon leur contenu, leur typographie et leurs illustrations. Ce travail, salué pour sa précision et sa profondeur, reflète l’érudition et l’esprit de Rahir.
Une influence durable
Au-delà de ses catalogues et de ses conseils, Édouard Rahir a contribué à la formation de nombreuses bibliothèques d’amateurs. Parmi elles, la bibliothèque de M. Lebeuf de Montgermont, qu’il constitue et vend entre 1911 et 1913, reste un exemple de la qualité de ses acquisitions. Il fut également expert lors de ventes prestigieuses, comme celle de M. Arthur Meyer en 1924, où il acquiert un Molière autographe, avec des dessins de Boucher, pour la somme de 200 000 francs.
La consécration et l’héritage
Reconnu pour son expertise, Rahir devient le premier président du Syndicat de la librairie ancienne et moderne, un poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1920. Il se retire alors à Saint-Germain-en-Laye, où il se consacre à sa propre collection de livres, une bibliothèque personnelle riche de trésors inestimables, dont bien peu ont eu le privilège de franchir les portes.
En parallèle de son activité de libraire, Édouard Rahir se distingue également par ses écrits. Outre les catalogues de vente, il rédige des travaux érudits, tels que la Notice sur les Rabelais de M. Bordes, publiée en 1890, ou encore un mémoire sur la vente de la bibliothèque de Robert Hoe à New York, publié en 1913 dans le Bulletin du bibliophile. Ces contributions font de lui une figure respectée non seulement en France, mais aussi à l’étranger, où son expertise est largement reconnue.
Une perte inestimable pour la bibliophilie
Édouard Rahir s’éteint le 24 octobre 1924, à l’âge de 62 ans, laissant derrière lui un héritage immense. Sa réputation, bâtie sur des décennies de travail acharné et de passion pour les livres, reste inégalée. Ses catalogues, ses écrits et ses acquisitions continuent d’être une source d’inspiration pour les bibliophiles du monde entier.
Rahir comprenait mieux que quiconque que le devoir d’un bon libraire ne se limite pas à la vente de livres, mais inclut également la conservation de leur histoire et la transmission de leur valeur. Ses publications, notamment les dix volumes du Bulletin Morgand (1876-1904) et les 21 bulletins publiés entre 1904 et 1920, témoignent de cette vision. Ces ouvrages, décrivant minutieusement plus de 46 593 articles, restent des références incontournables pour tous ceux qui s’intéressent aux livres anciens.
Édouard Rahir a consacré quarante ans de sa vie à la librairie ancienne et à la bibliophilie. Il a su marier le commerce des livres avec une profonde passion pour la culture et l’histoire littéraire. Son œuvre, tant à travers ses catalogues que ses écrits, continue de faire autorité et de guider les amateurs éclairés dans leur quête de trésors littéraires. Son héritage est celui d’un homme qui a su allier rigueur, savoir et amour des livres, et qui a laissé une empreinte indélébile dans le monde de la bibliophilie.
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