Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
Gomgam ou l’homme prodigieux : une satire fantasque du XVIIIe siècle.
Dans la vaste et fascinante littérature utopique et satirique du XVIIIe siècle, peu d’auteurs ont su captiver l’imagination de leurs contemporains comme l’abbé Laurent Bordelon. Moins connu aujourd’hui, Bordelon a néanmoins laissé derrière lui une œuvre singulière, souvent empreinte d’humour et de critiques voilées, dont Gomgam ou l’homme prodigieux est un parfait exemple. Ce livre, publié à Paris en 1711 sous un pseudonyme énigmatique – « TiTETUTEFNOSY », un code que même les bibliographes peinent à déchiffrer –, est représentatif de la manière unique qu’avait Bordelon de jouer avec les codes littéraires et de proposer une réflexion piquante sur la société de son temps.
Laurent Bordelon, un esprit polymorphe
Laurent Bordelon, né en 1653 et décédé en 1730, était un abbé, théologien de formation, mais surtout un polygraphe prolifique, explorant divers genres littéraires. S’il est souvent relégué au second plan de l’histoire littéraire française, ses œuvres constituent néanmoins un trésor d’ingéniosité et de créativité. Bordelon faisait partie de ces auteurs que l’on qualifie de « touche-à-tout », un terme qui traduit bien son esprit curieux et son goût pour l’expérimentation.
Les titres de ses œuvres, souvent étonnants, sont révélateurs de sa volonté de surprendre et d’amuser. Parmi ses ouvrages les plus notables, on trouve La comédie sans femme, M. de mort en trousse, Arlequin Molière ou encore Le voyage forcé de Bécafort hypocondriaque. Ces titres insolites laissent entrevoir la fantaisie qui caractérise son écriture et son penchant pour la satire sociale.
Gomgam ou l’homme prodigieux, une œuvre atypique
Dans Gomgam ou l’homme prodigieux, Bordelon nous propose de suivre les aventures extraordinaires de Gomgam, un personnage aussi fantasque que ses aventures. Dès le début, Bordelon annonce la couleur : l’œuvre sera farfelue, excentrique, mais profondément réfléchie. Le héros rencontre un enchanteur qui voyage sur une flèche d’or, flèche que Gomgam récupère et qui devient un outil central dans ses pérégrinations. Cet enchanteur, symbole de l’imaginaire libéré des contraintes de la raison, donne le ton à l’œuvre entière.
Gomgam croise au fil de son périple des personnages tout aussi étranges, tels que des « anti-savants », des savants dont le savoir est absurde, ou encore des savonnettes à vilains, des objets mystérieux dont Bordelon ne manque pas de tirer des effets comiques. Une grande partie de l’histoire est également dédiée à l’ambitieux projet littéraire de Gomgam : il désire écrire un ouvrage monumental en cent volumes, intitulé Le monde risible ou bibliothèque comique. Cette œuvre fictive, bien que jamais réalisée dans le monde réel, est décrite avec un souci du détail et une ironie qui rappellent les folies littéraires de l’époque.
Une bibliothèque imaginaire
Dans cette bibliothèque comique, Bordelon nous présente une sélection de volumes aussi hilarants qu’absurdes. Parmi les plus notables :
- L’agenda de ceux qui n’ont rien à faire, où le premier chapitre détaille des activités comme « faire des visites importunes chez des gens extrêmement occupés » ou encore « tuer le temps ».
- Les sottises et les folies de l’amour, dans lequel des comportements amoureux grotesques sont disséqués, comme « faire les yeux doux » ou « montrer des yeux de carpe pâmée ».
- Les admirables propriétés de l’argent comptant, un traité humoristique sur le pouvoir transformateur de l’argent, présenté comme « persuasif, éloquent », capable de rendre une personne « habile, agréable, belle, spirituelle ».
- Le tabac, où une question est posée avec une fausse gravité : « comment faisait-on autrefois quand on ne le connaissait pas ? »
- La philosophie du peut-être, une réflexion sur l’incertitude et le doute, thème cher à Bordelon, toujours prêt à tourner en dérision les certitudes philosophiques de son époque.
Cette sélection n’est qu’un aperçu de l’ingéniosité déployée par Bordelon pour faire sourire, tout en offrant une critique fine des travers de son siècle.
Une satire des mœurs du XVIIIe siècle
Sous son apparente légèreté, Gomgam ou l’homme prodigieux est en réalité une satire acerbe des mœurs de la société du début du XVIIIe siècle. Bordelon prend pour cible des figures variées : les savants pédants, les amoureux ridicules, les riches arrogants, mais aussi la philosophie et la théologie dogmatiques. En effet, derrière l’humour, se cachent des critiques pointues sur l’hypocrisie et la superficialité de certains milieux sociaux.
Le passage où Gomgam, lors d’une chasse au sanglier, se retrouve isolé après que sa monture soit éventrée par l’animal, est particulièrement marquant. Gomgam, désespéré, utilise alors sa flèche d’or pour s’envoler dans les airs, mais dans sa précipitation, il reste accroché à l’étrier de son cheval mort, traînant avec lui à la fois la carcasse de l’animal et le sanglier. Cette scène, aussi absurde que comique, symbolise l’incapacité des hommes à se libérer de leurs fardeaux matériels et spirituels, malgré leurs efforts pour s’élever.
L’héritage littéraire de Bordelon
Si Laurent Bordelon est aujourd’hui largement oublié, ses œuvres, à l’instar de Gomgam ou l’homme prodigieux, méritent d’être redécouvertes. En cela, les livres anciens jouent un rôle clé dans la préservation de ce patrimoine littéraire. Ces ouvrages, imprimés avec soin et souvent par de petites presses, témoignent d’une époque où l’écriture n’était pas seulement une question de diffusion de connaissances, mais aussi un moyen d’amuser, de réfléchir et de critiquer en toute liberté.
La première édition de Gomgam ou l’homme prodigieux, publiée chez Saugrain à Paris en 1711, est aujourd’hui une rareté bibliographique. Ces deux volumes in-12 sont un exemple parfait de l’art de l’impression de l’époque et nous rappellent que les livres anciens ne sont pas seulement des objets de collection, mais des témoins vivants des idées et des imaginaires d’autrefois.
En redécouvrant ces œuvres, nous sommes invités à un voyage à travers le temps, où l’humour et l’intelligence se mêlent pour offrir une réflexion intemporelle sur l’absurdité humaine.
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