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Jean-Charles Motteley, l'héritage d'une vie dédiée aux livres.
Jean-Charles Mottelay, plus connu sous le nom de « Motteley », est une figure incontournable de la bibliophilie française du XIXe siècle. Né le 12 avril 1778 à Giberville, dans le Calvados, il a joué un rôle important dans la préservation, la collection et l'étude des livres rares, notamment les célèbres éditions elzéviriennes. Son parcours singulier, marqué par un attachement profond aux livres et un caractère quelque peu difficile, fait de lui un personnage à la fois fascinant et complexe.
Une jeunesse marquée par les livres
Issu d'une famille modeste, Motteley se distingue dès son plus jeune âge par un goût prononcé pour l'apprentissage et les livres. Enfant studieux, il accumule les prix durant ses études, et sa mère, fière de ses succès, l'encourage en lui offrant des ouvrages supplémentaires. Ces présents marquent le début de sa passion pour les livres, qui deviendront rapidement le centre de sa vie. C'est à cette époque qu'il commence à constituer une bibliothèque, bien modeste au début, mais qui allait devenir l'une des plus riches collections d'Elzévirs et d'autres ouvrages précieux de son temps.
L'évolution d'un bibliophile
Le baron Jérôme Pichon, autre grand bibliophile du XIXe siècle, décrit la demeure de Motteley comme un véritable sanctuaire dédié aux livres. Si l'ordre apparent laisse à désirer, c'est dans les armoires et les secrétaires que se cachent ses trésors les plus précieux. Motteley possédait des éditions remarquables, telles que le Virgile, le Tacite et l’Horace imprimés par les Elsevier pour le comte d’Hoym, ou encore des exemplaires des œuvres d’Horace provenant de la collection de Longepierre. Ces éditions, souvent magnifiquement reliées, faisaient la fierté de sa collection.
La description faite par Achille Jubinal, qui eut la chance de visiter cette bibliothèque, met en lumière l'ampleur et la diversité des ouvrages détenus par Motteley. Ce dernier possédait notamment près de 4 000 Elzévirs, dont plusieurs étaient enrichis de notes manuscrites et de peintures réalisées par des artistes aussi talentueux que Redouté. Parmi ses pièces maîtresses figurait un Coran relié aux armes de Henri II et de Diane de Poitiers, ou encore un ouvrage gothique de l’époque de Henri III, illustrant le raffinement des reliures de sa collection.
Une vie dédiée aux livres
Motteley n’était pas seulement un collectionneur acharné ; il était aussi un érudit passionné par la bibliophilie, en particulier les éditions elzéviriennes. Ces éditions hollandaises du XVIIe siècle, célèbres pour leur qualité typographique et leur petit format, étaient au cœur de ses recherches. Motteley a consacré une partie de sa vie à l’étude des erreurs bibliographiques qui entouraient les Elzévirs et leurs annexes. Il a publié plusieurs ouvrages sur le sujet, dont Aperçu sur les erreurs de la bibliographie spéciale des Elzévirs, dans lequel il rend à d’autres imprimeurs européens, tels que François Foppens ou Lambert Marchant, des travaux longtemps attribués à tort aux Elzévirs.
Les Elzévirs étaient pour lui une véritable obsession, et sa collection en comptait plusieurs exemplaires uniques ou rarissimes. Par exemple, Motteley possédait un exemplaire sur peau de vélin de la Liste des éditions elzeviriennes, publié en 1823 par Firmin Didot. Ce volume, d'une rareté extrême, est orné des armoiries des Elzévirs peintes en or, témoignant de l'attention minutieuse qu'il portait à ses acquisitions.
Le legs d'une collection
Toutefois, la passion de Motteley pour les livres dépassait le simple plaisir de posséder. À plusieurs reprises, il tenta de vendre sa collection à des institutions publiques ou à des amateurs éclairés. Louis-Philippe, par exemple, fut sur le point d'acquérir son musée bibliographique, mais les exigences de Motteley, notamment celle de voir son nom inscrit au-dessus de la porte du musée, firent échouer la transaction. Finalement, Motteley légua sa bibliothèque à la nation française, espérant qu'elle serait préservée et exposée dans un lieu dédié.
Cependant, le destin en décida autrement. En 1871, lors de la Commune de Paris, la Bibliothèque du Louvre, qui abritait sa collection, fut incendiée. Les flammes dévorèrent des milliers de volumes, dont de nombreux Elzévirs, des reliures exceptionnelles, et des manuscrits rares. Cette perte inestimable fut un coup dur pour le patrimoine bibliographique français, et la collection Motteley, laborieusement assemblée au fil de décennies de recherche et de voyages à travers l’Europe, disparut presque entièrement.
Une contribution bibliographique
Malgré cette tragédie, l'héritage intellectuel de Motteley perdure. Ses recherches approfondies et ses publications sur les Elzévirs ont contribué à affiner la bibliographie de ces imprimeurs et à corriger de nombreuses erreurs dans leur attribution. Son œuvre majeure, Aperçu sur les erreurs de la bibliographie spéciale des Elzévirs, reste une référence pour les spécialistes de la typographie hollandaise du XVIIe siècle.
Sa contribution à l'histoire de la reliure est également notable. Sa collection comprenait des ouvrages issus des plus grands ateliers de reliure européens, de ceux de Grolier au XVIe siècle jusqu'aux maîtres relieurs français du XIXe siècle comme Simier et Padeloup. Chaque reliure de sa collection était un témoignage du savoir-faire exceptionnel des artisans et reflétait l’évolution de cet art à travers les siècles.
Motteley, un bibliophile passionné mais controversé
Toutefois, Motteley n'était pas sans controverse. Son caractère parfois difficile, notamment lors des ventes aux enchères, lui valut des inimitiés parmi les autres bibliophiles. Il n'hésitait pas à invectiver ses rivaux lorsqu'un ouvrage lui échappait, allant jusqu'à provoquer des incidents publics, comme lors de la révolution de 1830, où il accusa publiquement un autre collectionneur, Jean-Louis Bourdillon, de conspirer contre lui. Certains critiques, comme Jacques-Charles Brunet, le décrivaient plus comme un "industriel en librairie" que comme un véritable amateur, insinuant qu'il formait des bibliothèques pour les vendre.
Jean-Charles Motteley restera dans l’histoire comme un bibliophile passionné, voire obsessionnel, dont la quête des livres les plus rares et les plus précieux a marqué la bibliophilie française. Si son héritage matériel a été en grande partie détruit, son travail intellectuel, lui, demeure. À travers ses recherches et ses publications, il a contribué à faire avancer la connaissance des Elzévirs et de la bibliophilie en général, laissant un exemple d’une vie entièrement dédiée à l’amour des livres.
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