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Jean et Adolphe-Jean Audenet, bibliophiles de père en fils au XIXe siècle.
L'histoire de Jean Audenet et de son fils Adolphe-Jean Audenet, grands collectionneurs de livres anciens, offre une immersion fascinante dans le monde de la bibliophilie au XIXe siècle. À travers leur passion pour les livres rares et précieux, nous découvrons non seulement une collection remarquable, mais également une vision singulière de la culture littéraire et historique de leur époque.
Jean Audenet : un parcours d'homme de finance et d'engagements publics
Jean Audenet († 1835), négociant et receveur de rentes, fut une figure influente dans les milieux financiers et civiques du début du XIXe siècle. Associé à Guillaume Slingerland, il a occupé des postes prestigieux tels que régent de la Banque de France (1831-1835) et juge au Tribunal de commerce de la Seine, ce qui témoigne de son autorité dans le domaine économique et juridique. Son engagement dans la vie publique est également marqué par son rôle de maire de Pierrefitte-sur-Seine (1816-1829) et de membre du Conseil général du département de la Seine.
Mais au-delà de ses responsabilités publiques, Jean Audenet s'est distingué par son implication dans des sociétés à vocation philanthropique et intellectuelle. Trésorier de la Société philanthropique, il a aussi été membre de la Société pour la propagation des connaissances scientifiques et industrielles, prouvant son intérêt pour le progrès et l'innovation. Cette ouverture d'esprit et ce souci de l'avancement intellectuel ont certainement influencé son fils Adolphe-Jean dans la constitution de sa propre bibliothèque.
Adolphe-Jean Audenet : héritier et passionné de livres anciens
Adolphe-Jean Audenet, né à Paris le 24 mars 1800, suit les traces de son père, tant dans le monde des affaires que dans celui des lettres. Banquier, juge au Tribunal de commerce de la Seine et administrateur de diverses compagnies, il fut également un érudit passionné par l’histoire et la littérature, comme en témoigne son abonnement à la Bibliothèque de l’École des chartes et son appartenance à la Société de l’Histoire de France.
Sous la direction de Techener père, célèbre libraire et éditeur, Adolphe-Jean Audenet constitua l'une des bibliothèques les plus remarquables de son temps. Cette collection, soigneusement élaborée, réunissait des ouvrages anciens d'une rareté exceptionnelle, reflétant le goût croissant de l'époque pour les chroniques médiévales, les romans de chevalerie et la poésie des premiers siècles de la littérature française. Son Catalogue d’une précieuse collection de livres anciens et rares, publié en 1839, est une œuvre emblématique dans l’histoire de la bibliophilie. Il illustre parfaitement la richesse et la diversité des volumes rassemblés, notamment par la présence d'exemplaires luxueusement reliés, souvent ornés d'armes prestigieuses.
La bibliothèque Audenet : un trésor de livres anciens et rares
Dans ce catalogue, Audenet décrit sa collection comme une « réunion choisie de livres singuliers, précieux et rares », où l’on trouve des œuvres aussi emblématiques que les chroniques médiévales, les romans de chevalerie et les poésies des premiers siècles de la littérature française. Les amateurs de livres anciens y découvrent également une large sélection d’ouvrages sur la chasse, des mystères et pièces de théâtre anciennes, ainsi qu’une collection impressionnante de lettres autographes.
Un des aspects novateurs de ce catalogue réside dans l'inclusion de planches de fac-similé, reproduisant de magnifiques reliures anciennes, une première en France. On y retrouve, par exemple, des reliures aux armes de Thou ou encore des reliures exécutées pour Jean Grolier, grand bibliophile français du XVIe siècle, célèbre pour sa devise « Io. Grolierii et amicorum ».
Les ouvrages emblématiques de la collection
La collection Audenet se distingue par plusieurs œuvres majeures, dont certaines se sont transmises de collection en collection. Parmi les livres les plus notables, on peut citer :
- Precationes ex veteribus orthodoxis doctoribus (Lipsiæ, 1575), relié aux armes de Thou ;
- De viris illustribus ordinis predicatorum libri sex (Bononiæ, 1517), relié pour Grolier ;
- Le Livre du monde faict par Aristote (Paris, 1541), adjugé en 2010 pour la somme de 3 200 € ;
- Mirabilis liber, un ouvrage prophétique et mystérieux, souvent mentionné dans les cercles ésotériques de l’époque ;
- La Fauconnerie de Jean de Franchières (Paris, 1585), véritable joyau pour les amateurs de chasse et d’ornithologie.
Outre ces volumes, la collection renferme également des manuscrits enluminés, tels qu'un Office de la Vierge attribué à Cluvio ou encore un Antiphonaire aux peintures attribuées à Lebrun, soulignant l'attention d'Audenet pour les manuscrits richement illustrés.
La vente et la dispersion de la collection
Initialement prévue du 2 au 11 avril 1839, la vente de la collection Audenet fut reportée à mars 1841. Entre-temps, plusieurs ouvrages furent cédés de gré à gré à des collectionneurs avisés, tels que des volumes ayant appartenu à François Ier, Henri IV ou encore Marie Leczinska. Lors de la vente aux enchères qui eut finalement lieu, certains prix, jugés élevés pour l'époque, sont pourtant aujourd'hui largement dépassés, témoignant de la valeur croissante des livres anciens sur le marché.
Après la dispersion de cette première bibliothèque, Adolphe Audenet reconstitua une nouvelle collection, plus modeste mais tout aussi représentative de son goût pour les reliures raffinées et les ouvrages d'histoire. Cette deuxième collection fut dispersée après sa mort en 1874, confirmant la place d'Audenet parmi les grands bibliophiles de son époque.
Jean et Adolphe-Jean Audenet incarnent une époque où la passion pour les livres anciens et rares atteignait son apogée. Leurs collections, soigneusement élaborées et présentées, témoignent non seulement d'un goût prononcé pour la beauté des reliures et la rareté des textes, mais aussi d'un amour profond pour l'histoire littéraire. À travers les ventes aux enchères de leurs collections, la figure du bibliophile apparaît dans toute sa complexité, naviguant entre érudition, esthétique et héritage culturel.
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