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Jean-Philibert Berjeau, le rat de bibliothèque oublié.
Jean-Philibert Berjeau, fils d’un modeste garde-champêtre, est né le 29 novembre 1809 à Ballon, dans la Sarthe. Située aux portes du Maine, cette petite commune a vu naître l’une des figures les plus prolifiques de la bibliophilie et du journalisme républicain au XIXe siècle. Après des études à Château-Gontier, en Anjou, Berjeau s’installe à Paris où il devient clerc de notaire tout en s’adonnant à l’écriture.
Premiers pas dans la littérature
Dès les années 1830, il publie plusieurs œuvres littéraires, dont Le Commanditaire, un drame en un acte et en vers (1838), et Seguidillas, un répertoire destiné à un théâtre de société (1839). Ces écrits témoignent d’une curiosité intellectuelle foisonnante et d’un talent précoce pour l’expression artistique. Cependant, c’est à travers son engagement politique que Berjeau se distingue véritablement.
Engagement politique et exil forcé
Après huit années de voyages imprécis, Berjeau rejoint le tumulte révolutionnaire de 1848 en devenant codirecteur du quotidien anarchiste La Vraie République. Fondée par Théophile Thoré, cette publication à un sou rassemble des figures éminentes comme George Sand, Armand Barbès et Pierre Leroux. Dans ce contexte, Berjeau prend la défense des insurgés du 13 juin 1849 à travers un ouvrage intitulé Calomnies de la presse réactionnaire sur l’insurrection de juin. Cette prise de position lui vaut une condamnation par défaut le 30 août 1849 pour avoir troublé la paix publique.
Contraint de fuir, il s’exile à Londres, où il côtoie d’autres proscrits comme Alexandre Ledru-Rollin. Ensemble, ils fondent plusieurs journaux révolutionnaires : Le Proscrit (1850), La Voix du proscrit (1850-1851) et Le Peuple (1851). Ces publications, bien que souvent éphémères, reflètent l’idéal d’une République universelle et d’une lutte acharnée contre les régimes oppressifs.
Franc-maçonnerie et bibliophilie
Durant son exil, Berjeau s’investit également dans la franc-maçonnerie. En 1853, il devient Grand Maître de la Grande Loge des Philadelphes, une organisation affiliée au rite maçonnique de Memphis. Parallèlement, il développe une passion pour la bibliophilie, se spécialisant dans la reproduction de fac-similés d’ouvrages anciens. Parmi ses contributions notables figurent des œuvres comme Biblia pauperum (1859), Canticum canticorum (1860) et Speculum humanae salvationis (1861). Ces travaux visent à éclaircir les débats sur les origines de l’imprimerie entre Mayence et Harlem.
Lancement de revues bibliophiliques
En janvier 1861, Berjeau fonde Le Bibliomane, une revue consacrée aux résultats de ses recherches bibliographiques. Bien que cette publication cesse après seulement deux numéros, elle ouvre la voie à une entreprise plus ambitieuse : Le Bibliophile illustré. Lancée en août 1861, cette revue devient rapidement une référence en matière de bibliographie antiquaire. Les articles, enrichis de fac-similés, explorent des thématiques variées telles que les livres rares, les marques typographiques ou encore les reliures anciennes.
Collaborant avec des figures éminentes comme Paul Lacroix (Bibliophile Jacob) et Gustave Brunet, Berjeau transforme Le Bibliophile illustré en une publication européenne incontournable. Toutefois, le manque de soutien en France entraîne l’arrêt de la revue en 1865. Non découragé, il crée The Bookworm en 1866, une revue mensuelle en anglais qui poursuit les mêmes objectifs. The Bookworm se distingue par ses reproductions précises de gravures anciennes et ses études sur les typographes allemands, anglais et néerlandais.
Contributions et legs
Outre ses revues, Berjeau publie de nombreux ouvrages, dont Early Dutch, German, & English Printers' Marks (1866-1869) et Calcoen, a Dutch narrative of the second voyage of Vasco da Gama (1874). Ce dernier sera réédité en français en 1881. Ses travaux bibliographiques, d’une précision remarquable, témoignent de son obsession pour la préservation et la diffusion du savoir imprimé.
Fin de vie et héritage
Après la chute du Second Empire, Berjeau rentre à Paris, où il continue à œuvrer pour la bibliophilie jusqu’à sa mort en 1891. Ses funérailles, marquées par les discours émouvants de Noël Madier de Montjau et Charles-Alfred Canivet, rendent hommage à un homme dont l’influence dépasse les frontières françaises.
Bien que largement oublié aujourd’hui, Jean-Philibert Berjeau a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la bibliophilie et du journalisme républicain. À travers ses publications, il a non seulement contribué à la préservation du patrimoine imprimé, mais aussi promu les idéaux de liberté et de connaissance universelle. Sa vie, marquée par l’exil, l’engagement politique et la passion des livres, incarne l’esprit d’une époque en quête de progrès et de justice.
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