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L'édition des Contes de La Fontaine par les Fermiers généraux : un chef-d'œuvre de l'art du livre au XVIIIe siècle.
Le projet d'édition des Contes de La Fontaine constitue une œuvre monumentale, non seulement par la richesse littéraire du texte, mais également par la qualité artistique et technique de son exécution. En 1758, la société des Fermiers généraux entreprit de financer cette édition somptueuse, en confiant la réalisation des gravures à des artistes renommés de l'époque. L'édition, dite "des Fermiers généraux", est devenue un symbole de l'excellence du livre illustré au XVIIIe siècle, reflet de la collaboration entre l'élite économique, les artistes et les imprimeurs.
Contexte historique de l'édition des Contes de La Fontaine
En 1758, les Fermiers généraux, riches collecteurs d'impôts au service de la monarchie française, décidèrent de financer une nouvelle édition des célèbres Contes de Jean de La Fontaine, publiés pour la première fois au XVIIe siècle. Ils souhaitaient marquer leur époque par un projet prestigieux, à la croisée des arts littéraires et visuels. Le choix de La Fontaine, dont les contes se prêtaient particulièrement bien à l'illustration, semble avoir été motivé par la popularité de l'auteur et l'attrait qu'exerçait son œuvre sur les milieux cultivés.
Ce projet s'inscrivait dans une période où l'art du livre connaissait un renouveau, grâce notamment à l'essor de l'édition de luxe. Le livre n'était plus seulement un objet de lecture, mais un véritable trésor d'art, destiné à être contemplé autant que lu. Cette édition des Contes ne faisait pas exception, avec des gravures d'une qualité exceptionnelle et un tirage limité, réservé à une élite fortunée.
L'implication des Fermiers généraux
Le financement de cette édition fut pris en charge par 65 membres de la société des Fermiers généraux, qui contribuèrent dans des proportions variées. Ces fermiers, riches grâce à leur rôle de collecteurs d'impôts pour la Couronne, ont vu dans ce projet une manière de renforcer leur prestige et de s'inscrire dans l'histoire des arts et des lettres. Leur mécénat permit de produire une édition luxueuse, enrichie de gravures réalisées par certains des plus grands artistes du siècle.
Parmi ces fermiers, on peut citer des noms comme François-Antoine Alliot, François Baudon, ou encore Jean-Baptiste de Bouilhac, chacun ayant marqué son temps par son implication dans des entreprises économiques et culturelles. Ils partageaient tous un goût pour les belles-lettres et l'art, qui les rapprochait des milieux intellectuels et artistiques de l'époque.
Charles Eisen et Pierre-Philippe Choffard : deux artistes au service du livre
L'illustration des Contes de La Fontaine fut confiée à Charles Eisen, peintre et graveur renommé, qui mit six ans à réaliser les 80 dessins qui allaient orner l'ouvrage. Eisen était connu pour la finesse de ses compositions et son sens du détail, des qualités qui allaient faire de cette édition un chef-d'œuvre visuel.
Les gravures furent ensuite confiées à Pierre-Philippe Choffard, dont la réputation n'était plus à faire. Choffard, célèbre pour ses culs-de-lampe (petites vignettes ornant la fin des chapitres), apporta à l'édition une touche d'élégance et de légèreté. Il travailla de concert avec Eisen, et leurs efforts combinés contribuèrent à faire de cette édition un modèle du genre, admiré encore aujourd'hui pour sa qualité technique et artistique.
Il est à noter que les travaux de gravure furent réalisés sur plusieurs années, avec des dates indiquées sur les estampes allant de 1759 à 1762, témoignant de la patience et du soin apportés à chaque détail de cette entreprise.
Une édition limitée, objet de collection
Selon la tradition, l'édition des Fermiers généraux fut tirée à 1 000 exemplaires, bien que certains témoignages, comme celui du libraire Chevalier, évoquent un tirage plus important, de 2 000 exemplaires. Dans tous les cas, ce tirage limité fit rapidement de l'ouvrage un objet de collection très prisé. Les exemplaires se distinguèrent par leur reliure somptueuse, souvent en cuir doré, et leur format in-folio, destiné à valoriser les gravures.
Cette édition est aujourd'hui considérée comme l'un des sommets de l'art du livre au XVIIIe siècle, à la fois pour la qualité de ses illustrations et pour la finesse de son impression. Les amateurs de livres anciens la recherchent toujours ardemment, et les quelques exemplaires encore disponibles sur le marché se vendent à des prix très élevés.
L'influence de cette édition sur l'histoire du livre
L'édition des Contes de La Fontaine par les Fermiers généraux a marqué une étape importante dans l'histoire du livre illustré en France. Elle témoigne de l'évolution du goût pour les éditions de luxe, qui allaient connaître un essor particulier au cours du siècle des Lumières. Elle a également contribué à renforcer l'image des Fermiers généraux, non seulement comme financiers, mais aussi comme mécènes des arts.
De nombreux collectionneurs, bibliophiles et amateurs d'art se sont passionnés pour cette édition, dont la beauté et la rareté en font un objet de désir. La participation des grands graveurs de l'époque, comme Eisen et Choffard, à des projets aussi prestigieux a également contribué à l'essor de l'art de la gravure en France.
En définitive, l'édition des Contes de La Fontaine par les Fermiers généraux incarne parfaitement l'esprit du XVIIIe siècle : un mélange de raffinement artistique, de mécénat éclairé et d'excellence technique, qui continue de fasciner les historiens du livre et les amateurs d'art. C'est un témoignage vibrant de l'importance des livres anciens dans la culture française, et de la manière dont ces ouvrages ont su traverser les siècles pour rester des témoins précieux de notre patrimoine culturel.
Exemplaire adjugé 40.000 € chez Christie's en 2021.
LA FONTAINE, Jean de (1621-1695)
Contes et Nouvelles en vers. Amsterdam : s.n. [Paris : Barbou], 1762
LA FONTAINE, Jean de (1621-1695). Contes et Nouvelles en vers. Amsterdam : s.n. [Paris : Barbou], 1762.
Célèbre édition dite "des Fermiers-Généraux". Exemplaire de second tirage avec les figures du Diable de Papefiguiere et du Cas de conscience couvertes. Les figures des Lunettes, de Richard Minutolo, du Bât, et du Rossignol sont découvertes.
Exemplaire aux armes de la duchesse de Gramont. Grande bibliophile, la duchesse de Gramont assembla une riche bibliothèque dont les livres étaient majoritairement reliés en maroquin rouge ou vert olive. Elle fut décapitée en 1794. Quentin Bauchart, II, p. 107-122 (exemplaire non cité) ; Rochambeau, Contes 79 ; Cohen-Ricci, pp. 558-570.
2 volumes in-8 (175 x 118 mm). 2 portraits, 80 figures hors-texte gravées sur cuivre par Aliamet, Bacquoy, Choffard, Delafosse, etc. d'après Eisen et nombreux culs-de-lampe et vignettes de Choffard. Reliure de l'époque : maroquin olive, triple filet or encadrant les plats, armes dorées au centre des plats, dos lisse à caissons ornés, pièces de titre et de tomaison de maroquin rouge et blond, filet or aux coupes, roulette dorée intérieure. Emboîtages de maroquin olive, plats de plexiglas signés Lobstein-Laurenchet. (Anciennes et discrètes restaurations aux coiffes et à la charnière du volume 1, et infimes au volume 2, rousseurs marginales).
Provenance : Béatrix de Choiseul-Stainville, duchesse de Gramont (OHR, pl. 2160, fer 2) - Alfred Lindeboom (ex-libris) - G. de Berny (ex-libris).
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