L'ellipse en bande dessinée.

L'ellipse, bien que souvent perçue comme un simple procédé d'économie narrative, joue un rôle central dans la bande dessinée. Ce dispositif narratif, qui consiste à omettre volontairement certains éléments du récit, oblige le lecteur à combler les vides, participant ainsi activement à la construction du sens. L'ellipse en bande dessinée, loin d'être un simple artifice de narration, est un véritable outil stylistique qui structure le récit et engage le lecteur dans une lecture active. Elle permet de condenser l'action, d'introduire de la complexité narrative, et de jouer sur les attentes et les interprétations du lecteur. En cela, elle contribue à faire de la bande dessinée un art à part entière, où chaque omission, chaque vide, devient un espace de créativité partagé entre l'auteur et son lecteur.

L'ellipse : définition et typologie

L'ellipse, dans son acception la plus générale, est définie comme la suppression de mots ou de phrases dans un texte, tout en laissant au lecteur la tâche de les deviner ou de les reconstituer mentalement. En bande dessinée, ce procédé prend des formes diverses et se manifeste tant au niveau du texte que de l'image.

L'ellipse se divise principalement en deux catégories : les ellipses mécaniques et les ellipses narratives figurales. Les ellipses mécaniques, non figurales, se concentrent sur l'économie du récit, en éliminant les temps morts ou les éléments superflus, tandis que les ellipses figurales s'inscrivent dans une démarche plus subtile, jouant sur l'implicite et laissant au lecteur le soin de compléter le sens du récit .

Les ellipses mécaniques

Les ellipses mécaniques sont les plus fréquentes en bande dessinée. Elles incluent :

• Le temps élidé : Il s'agit d'une suppression de séquences temporelles qui ne sont pas jugées essentielles pour la progression de l'intrigue. Par exemple, entre deux vignettes représentant un personnage au début et à la fin d'une action, le processus intermédiaire est omis, laissant au lecteur la tâche de l'imaginer.
• L'espace fragmentaire : Ici, c'est la discontinuité spatiale qui est exploitée. Une scène est représentée en morceaux, obligeant le lecteur à reconstituer mentalement l'environnement complet .

Les ellipses narratives figurales

Ces ellipses sont plus complexes et jouent sur le non-dit, l'implicite. Elles se déclinent en plusieurs sous-catégories :

• L'omission explicite : Des éléments essentiels du récit sont omis, mais le contexte ou les indices visuels permettent au lecteur de déduire ce qui a été laissé de côté.
• Entre l'explicite et l'implicite : Une zone d'ombre subsiste, où l'information n'est ni complètement donnée ni totalement cachée, créant une ambiguïté volontaire.
• L'omission implicite : Le narrateur omet des éléments cruciaux du récit sans aucun indice explicite, rendant la compréhension dépendante de l'interprétation du lecteur .

L'ellipse dans l'art de la bande dessinée

L'ellipse est intrinsèquement liée à la structure narrative de la bande dessinée. Elle permet non seulement de gérer le rythme du récit mais aussi d'impliquer le lecteur dans une démarche active de compréhension.

Économie graphique et narrative

En bande dessinée, l'ellipse n'est pas seulement un outil de narration, mais elle constitue aussi un aspect fondamental de l'économie graphique. La mise en page, la disposition des vignettes, et l'utilisation des espaces interstitiels jouent un rôle crucial dans la manière dont l'ellipse est perçue et interprétée par le lecteur .

Effacement graphique et hors-champ

L'effacement graphique est une forme particulière d'ellipse où un élément visuel est volontairement omis ou effacé, créant une lacune que le lecteur doit combler. De même, le procédé du hors-champ, largement utilisé en cinéma, est ici adapté pour laisser hors de la vue du lecteur des événements clés, tout en lui fournissant suffisamment d'indices pour qu'il en reconstitue le déroulement .

L'ellipse : un procédé rhétorique et stylistique

En plus de son rôle dans l'économie narrative, l'ellipse en bande dessinée est également un procédé rhétorique puissant. Elle permet d'introduire du suspense, de renforcer le mystère, ou encore d'accroître l'impact émotionnel d'une scène en obligeant le lecteur à participer à la création du sens.

Parataxe et asyndète

Dans le cadre de la bande dessinée, des figures de style telles que la parataxe (absence de liaison entre les phrases ou propositions) et l'asyndète (omission des conjonctions) sont des formes d'ellipse qui contribuent à dynamiser le récit, en créant des ruptures brutales dans la continuité narrative.

Ellipse dans la métalepse figurale

La métalepse, figure consistant à déplacer le récit d'un niveau narratif à un autre, est également utilisée de manière elliptique en bande dessinée. Cela se manifeste souvent par des transitions abruptes d'une scène à une autre, ou par l'omission d'une partie du récit qui se trouve alors implicite .