Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
L'indien dans l'imaginaire brésilien, de la figure mythique à la revendication identitaire.
Identité indigène et construction nationale au Brésil
L'histoire du Brésil est intimement liée à celle de ses peuples autochtones. Cependant, ces derniers ont souvent été réduits à des stéréotypes et des constructions littéraires éloignées de leur réalité historique et culturelle. La citation provocatrice de l'anthropologue Eduardo Viveiros de Castro, « Au Brésil, tout le monde est Indien, sauf ceux qui ne le sont pas », souligne ce paradoxe : alors que l'Indien a été à la fois mythifié et rejeté, il reste central dans l'imaginaire national. Cette ambivalence témoigne d'une tension permanente entre valorisation symbolique et exclusion physique ou culturelle des peuples indigènes.
Depuis la Constitution de 1988, qui reconnaît le droit à la terre des peuples autochtones, l'Indien est réintroduit dans le débat national, non plus comme une figure littéraire ou mythique, mais comme un sujet de droits, réclamant la reconnaissance de sa différence et de sa citoyenneté. Toutefois, cette inclusion récente n'efface pas les siècles de marginalisation et d'extermination dont ils ont été victimes, ni la manière dont leur image a été instrumentalisée dans la construction de l'identité brésilienne.
L'indianité dans la littérature brésilienne : entre mythification et marginalisation
La littérature brésilienne, dès ses débuts, a joué un rôle crucial dans la construction de l'identité nationale en puisant dans l'image de l'Indien. Au XIXe siècle, cette figure devient un emblème de la nation, notamment dans le cadre du romantisme et du mouvement indianiste. José de Alencar, l'une des figures centrales de cette période, a contribué à façonner l'imaginaire collectif avec des œuvres telles que Iracema et O Guarani. Ces romans présentent des indigènes idéalisés, symboles de pureté et d'authenticité, mais ces représentations restent profondément ancrées dans une vision européenne et coloniale, où l'indigène est une figure du passé, destinée à disparaître pour laisser place à la civilisation moderne.
Alencar et ses contemporains s'inspirent d'une tradition littéraire européenne qui remonte aux récits de voyage des XVIe et XVIIe siècles. Ces textes, rédigés par des explorateurs, missionnaires et colonisateurs, décrivaient les peuples autochtones sous un jour exotique et souvent déformé. L'une des sources les plus influentes est la lettre de Pero Vaz de Caminha, rédigée en 1500, qui constitue l'un des premiers témoignages sur les indigènes brésiliens. Ce texte, longtemps enfoui dans les archives, fut redécouvert au XVIIIe siècle et devint, selon l'historien Sérgio Buarque de Holanda, l'« acte de naissance du Brésil ». Il dépeint les indigènes comme des êtres naïfs et innocents, prêts à être convertis au christianisme et à la civilisation européenne.
Le XVIIIe siècle voit émerger des poèmes épiques comme Uraguay de Basílio da Gama et Caramuru de José de Santa Rita Durão, qui célèbrent la conquête du territoire et l'évangélisation des peuples indigènes. Ces œuvres, bien que largement influencées par le mouvement arcadien et les Lumières européennes, posent les bases de la littérature indianiste du siècle suivant.
Euclides da Cunha et l'héritage positiviste : une relecture scientifique de l'Indien
Au tournant du XXe siècle, l'écrivain et ingénieur Euclides da Cunha propose une relecture de la question indigène dans son ouvrage majeur, Os Sertões (1902). Ce texte, à mi-chemin entre la littérature et la science, retrace la révolte de Canudos, une insurrection paysanne et messianique qui fut brutalement réprimée par le gouvernement brésilien. Da Cunha y analyse les peuples du sertão (arrière-pays) à travers une grille positiviste, expliquant leur caractère et leurs comportements par les conditions géographiques et environnementales.
Dans Os Sertões, l'indigène n'est plus un héros romantique, mais une composante du métissage brésilien, vue sous un jour plus scientifique et souvent défavorable. Da Cunha s'inspire des théories raciales de l'époque, en particulier celles de Gobineau, qui hiérarchisent les différentes races humaines. Toutefois, il distingue les métis d'origine indigène, qu'il juge plus résistants et nobles, des métis d'origine africaine, qu'il considère comme dégénérés. Cette vision reflète les préjugés raciaux de l'époque, mais elle marque aussi une rupture avec le romantisme indianiste en inscrivant l'Indien dans une analyse historique et sociologique plus rigoureuse.
Le modernisme et l'anthropophagie : une réappropriation subversive de l'indianité
Dans les années 1920, le mouvement moderniste brésilien, mené par des figures comme Oswald de Andrade et Mario de Andrade, propose une rupture radicale avec les modèles littéraires et culturels européens. Le Manifesto Antropofágico (1928) d'Oswald de Andrade prône l'idée de « cannibaliser » la culture européenne pour en créer une version authentiquement brésilienne. Ce manifeste fait référence à la pratique de l'anthropophagie, souvent attribuée aux peuples indigènes, comme une métaphore de la décolonisation culturelle.
Le personnage de Macunaíma, dans le roman éponyme de Mario de Andrade (1928), incarne cette nouvelle vision de l'indianité. Anti-héros grotesque et paresseux, Macunaíma est une figure ambivalente, à la fois symbole du Brésil moderne et rejet des idéaux romantiques et positivistes. Ce personnage, issu de légendes indigènes, est à la fois proche et éloigné de l'indigène réel, tout comme l'était l'Indien mythifié des siècles précédents.
Gilberto Freyre et la fable des trois races : une nouvelle lecture du métissage
L'œuvre de Gilberto Freyre, en particulier Casa Grande & Senzala (1933), marque un tournant dans la réflexion sur l'identité brésilienne. Freyre propose une vision plus positive du métissage, qu'il considère comme la caractéristique fondamentale de la société brésilienne. Contrairement aux théories raciales qui prédominaient au xixe siècle, Freyre met l'accent sur l'apport culturel des Africains et des indigènes dans la formation de l'identité nationale.
Dans cette perspective, l'indigène n'est plus seulement une figure du passé, mais un élément constitutif de la culture brésilienne contemporaine. Cependant, Freyre tend à minimiser les contributions spécifiques des peuples autochtones, en les subordonnant à celles des Africains dans la dynamique du métissage.
De la littérature à l'anthropologie indigène
Aujourd'hui, les peuples indigènes du Brésil luttent pour la reconnaissance de leurs droits et de leur culture. L'anthropologie et la littérature indigènes émergent comme des moyens de réappropriation et de redéfinition de l'identité autochtone. Cette nouvelle production, souvent rédigée en langues indigènes, se concentre sur la valorisation de la diversité culturelle et sur la préservation de l'environnement.
En conclusion, l'image de l'Indien dans la littérature brésilienne reflète les transformations profondes de la société brésilienne au fil des siècles. De figure mythique à sujet de droits, l'Indien reste au cœur des débats sur l'identité et la nation. Le défi actuel est de concilier cette histoire littéraire et symbolique avec la réalité des peuples indigènes qui, encore aujourd'hui, continuent de revendiquer leur place dans la société brésilienne moderne.
Laissez un commentaire
Connectez-vous pour publier des commentaires