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L'utilisation des symboles nazis dans Maus d'Art Spiegelman.
La bande dessinée Maus d'Art Spiegelman, œuvre marquante de la littérature graphique, s'intéresse à la transmission intergénérationnelle du traumatisme de l'Holocauste. Spiegelman, à travers son récit, utilise des symboles et des icônes du Troisième Reich pour tisser une narration complexe qui explore à la fois la mémoire collective et la mémoire individuelle. Cette œuvre, qui a redéfini le paysage de la littérature sur la Shoah, se distingue par l'incorporation et la réinterprétation des signes nazis, conférant ainsi une nouvelle dimension sémiotique à ces symboles lourdement connotés.
Les symboles du Troisième Reich : une réinscription graphique
L'un des aspects les plus frappants de Maus est la manière dont Spiegelman s'empare des symboles nazis pour les réinscrire dans son récit. Parmi ces symboles, le drapeau nazi, avec sa croix gammée (svastika) noire au centre d'un disque blanc sur fond rouge, occupe une place centrale. Dans Maus, ces éléments ne sont pas seulement reproduits, mais éclatés et dispersés à travers l'œuvre, prenant ainsi une signification nouvelle.
La couleur rouge, par exemple, est utilisée avec parcimonie, confinée aux couvertures des volumes de Maus. Cette couleur, qui évoque à la fois le sang versé par les victimes du génocide et la violence du régime nazi, est resémiotisée pour symboliser le lien entre l'histoire racontée et la mémoire du traumatisme. Les couvertures, avec leurs images qui débordent des cadres, renforcent cette idée de mémoire sanglante, échappant aux limites imposées par le temps et l'espace.
Le svastika, symbole le plus fétichisé du régime nazi, est également utilisé de manière métaphorique. Dans certaines scènes, il devient littéralement le chemin que prennent les personnages, suggérant que la menace nazie envahit l'espace physique et mental des survivants. Cette omniprésence des signes nazis dans l'univers diégétique de Maus illustre la persistance du traumatisme dans la vie des survivants et de leurs descendants.
La post-mémoire : une mémoire héritée
Le concept de "post-mémoire", développé par Marianne Hirsch, est central pour comprendre l'œuvre de Spiegelman. Ce terme désigne la relation que les enfants des survivants entretiennent avec le traumatisme de la génération précédente. Dans Maus, cette post-mémoire est représentée non seulement par les récits de Vladek, le père de l'auteur, mais aussi par l'incorporation des symboles nazis dans le quotidien d'Art Spiegelman lui-même, le personnage principal.
Les signes visuels du Troisième Reich, tels que le disque blanc du drapeau nazi, deviennent des métaphores récurrentes de cette post-mémoire. Le disque, souvent comparé à une lune, apparaît derrière les personnages dans des moments clés, symbolisant l'omniprésence du passé et l'impossibilité d'échapper à ce fardeau mémoriel. La métaphore visuelle est ainsi utilisée pour représenter la manière dont le traumatisme est intériorisé par les descendants des survivants, les emprisonnant dans une mémoire qui n'est pas la leur.
L’étoile jaune et la déshumanisation : une critique visuelle
Un autre élément central dans Maus est la représentation des Juifs sous la forme de souris, un choix qui renvoie à l'étoile jaune imposée par le régime nazi. L'étoile, symbole de l'ostracisation et de la déshumanisation des Juifs, est réinterprétée par Spiegelman à travers le prisme de la bande dessinée. Les souris, toutes identiques, symbolisent l'absurdité de la classification raciale imposée par les nazis, où la diversité individuelle est effacée au profit d'une identité stéréotypée.
Cette représentation par des animaux renvoie également à la tradition des funny animals dans les dessins animés américains, une tradition elle-même marquée par des stéréotypes racistes. En choisissant de représenter la Shoah à travers ce prisme, Spiegelman souligne la violence symbolique des stéréotypes, tout en critiquant la simplification binaire de l'identité qui sous-tend l'idéologie nazie.
In fine, l'œuvre d'Art Spiegelman ne se contente pas de raconter l'histoire d'un survivant de l'Holocauste, elle engage également une réflexion profonde sur la manière dont les symboles du passé continuent de hanter le présent. En réinscrivant les symboles et icônes du Troisième Reich dans son récit, Spiegelman crée un dialogue entre la mémoire collective de la Shoah et la mémoire individuelle des survivants et de leurs descendants. Maus devient ainsi un espace de réappropriation et de transformation des signes, où la bande dessinée sert de médium pour explorer les complexités de la mémoire, du traumatisme et de la transmission intergénérationnelle.
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