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La bande dessinée comme métaphore du théâtre : une analyse de l'œuvre de Marc-Antoine Mathieu.
La bande dessinée est un medium souvent perçu comme un espace d’expression ludique et accessible. Pourtant, certains auteurs n’hésitent pas à en explorer les limites pour en faire un terrain d’expérimentation complexe. Marc-Antoine Mathieu est l’un de ces créateurs singuliers, qui a su transformer la bande dessinée en un théâtre visuel où les règles de la réalité sont remises en cause, en particulier dans sa série Julius Corentin Acquefacques.
L’univers théâtral dans la bande dessinée
L’œuvre de Marc-Antoine Mathieu regorge d’allusions au théâtre. Dans ses albums, on retrouve un usage fréquent du théâtre dans la structure et le déroulement narratif. Ce n'est pas une simple coïncidence, mais une composante essentielle qui invite le lecteur à interpréter l’univers de ses bandes dessinées comme une métaphore théâtrale. Ce lien est particulièrement visible dans La Qu... et Dieu en personne, deux œuvres où le théâtre est littéralement mis en scène.
Dans La Qu..., par exemple, le protagoniste, Julius Corentin Acquefacques, est représenté à la fois comme spectateur et acteur d’une pièce qui semble être orchestrée par une force invisible. Cette dualité entre acteur et spectateur est renforcée par la couverture même de l’album, qui place Julius sur une scène de théâtre, écartant timidement les rideaux pour rejoindre un espace où il est à la fois observé et observateur. Ce procédé rappelle la célèbre métaphore du theatrum mundi, où le monde est perçu comme une scène, et les individus comme des acteurs suivant un script invisible.
Mise en abyme et distanciation théâtrale
Mathieu joue également avec la mise en abyme, un procédé théâtral classique où une représentation est enchâssée dans une autre, créant un effet de réflexion sur la nature même de l’œuvre. Dans La Qu..., le théâtre devient non seulement une scène pour le personnage principal, mais également un reflet de la structure de la bande dessinée elle-même. Les cases deviennent des cadres, et les décors sont manipulés comme des éléments de scène, soulignant la matérialité de la bande dessinée.
Le recours à la mise en abyme n’est pas seulement un jeu stylistique chez Mathieu. Il permet une réflexion sur le rôle du créateur et de ses personnages, renforçant l’idée que la fiction n’est qu’une construction illusoire. Dans cette perspective, l’univers de Julius Corentin Acquefacques fonctionne comme un théâtre, où les décors et les actions sont soigneusement orchestrés par un auteur omniprésent. Julius, bien que protagoniste de ses aventures, n’est jamais complètement maître de son destin, souvent manipulé par une autorité supérieure qui guide ses actions.
Dans Dieu en personne, cet aspect théâtral prend une tournure encore plus explicite. L’album met en scène un procès contre Dieu lui-même, où l’être divin est présenté non pas comme une figure toute-puissante, mais comme un acteur pris dans une mise en scène complexe, jouant un rôle déterminé par les attentes de la société. Ici, Mathieu nous interroge sur la notion même de libre arbitre et sur la place de l’individu dans une société régie par des règles imposées. Le théâtre devient ainsi une métaphore de la vie humaine, un espace où les actions sont répétées, observées et jugées.
La théâtralité dans le découpage de la bande dessinée
En plus des références explicites au théâtre, Mathieu emploie des techniques issues du théâtre dans le découpage de ses planches. L’une des caractéristiques les plus frappantes est l’usage de la théâtralité dans la disposition des cases et des personnages. Les vignettes sont souvent organisées comme des scènes, avec un point de vue qui rappelle celui du spectateur face à une scène de théâtre. Les personnages entrent et sortent des cases comme des acteurs entrant en scène, et les décors, bien que minimalistes, sont symboliques, fonctionnant souvent par métonymie, un procédé cher au théâtre.
Dans La 2,333e dimension, cette théâtralité est portée à son paroxysme avec l’introduction de la 3D, où les personnages et les décors semblent littéralement prendre vie sous les yeux du lecteur, rappelant les illusions visuelles du théâtre baroque. Cette séquence met en lumière l'artifice même de la bande dessinée, tout comme le théâtre dévoile parfois ses coulisses pour souligner son caractère fictif.
La bande dessinée, un théâtre de papier
À travers l’œuvre de Marc-Antoine Mathieu, la bande dessinée s’affirme comme un médium où la fiction se met en scène. Le théâtre, avec ses règles de représentation et sa distanciation par rapport à la réalité, offre à l’auteur un cadre parfait pour explorer les limites de la narration et de la création. Chez Mathieu, les personnages, les décors et les actions ne sont jamais complètement réels : ils appartiennent à un univers où la fiction est reine, et où le lecteur, tout comme le protagoniste, devient à son tour un acteur pris dans une mise en scène dont il ne maîtrise pas les règles.
Cette approche théâtrale de la bande dessinée permet non seulement de jouer avec les codes du medium, mais aussi d’offrir une réflexion profonde sur le rôle du créateur et sur la condition humaine. Dans le monde de Marc-Antoine Mathieu, nous sommes tous des acteurs, évoluant dans un théâtre où les frontières entre le réel et la fiction sont toujours floues.
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