Pendant soixante-dix ans, l’album pour enfants a connu une transformation en profondeur. D’un simple outil de...
La filiation du Chat de Philippe Geluck.
Philippe Geluck, figure incontournable de la bande dessinée, a su captiver des générations de lecteurs grâce à son personnage emblématique, Le Chat. Né le 22 mars 1983 dans les pages du journal Le Soir, Le Chat s’est imposé comme un véritable phénomène culturel en Belgique et bien au-delà. Cependant, un chapitre moins exploré de cette vaste œuvre est celui du Fils du Chat, une série destinée à un public plus jeune, qui, tout en s’inscrivant dans la continuité de l’univers du Chat, développe une approche unique et adaptée à son jeune lectorat. Ce texte se propose d’analyser en profondeur les spécificités de cette série, tout en mettant en lumière les subtilités et les innovations que Geluck y a introduites.
La genèse du Fils du Chat : une filiation naturelle
Le Chat, depuis ses débuts, est un personnage complexe, massif, doté d’un humour incisif et souvent absurde, qui s'adresse principalement à un public adulte. En 2008, soit vingt-cinq ans après la création du Chat, Geluck introduit une nouvelle série centrée sur le Fils du Chat, publiée par l’éditeur historique Casterman. Cette série, qui comprend neuf albums, dont Le Portrait de Papa, Le Soleil, Rikiki et Mon Papa Noël, propose une vision plus tendre et accessible du monde du Chat, à travers les yeux de son fils espiègle.
L’introduction du Fils du Chat dans l’univers de Geluck semble être une évolution naturelle de la saga. Cependant, il est intéressant de noter que, malgré cette filiation évidente, le fils n’est jamais totalement indépendant de son père, tant au niveau de son nom que de son caractère. Le fils n’a pas de prénom propre, ce qui renforce l’idée qu’il est une extension du Chat, et non un personnage autonome. Cette dépendance est également perceptible dans les références constantes à l’univers du Chat, que ce soit dans les titres des albums ou dans les clins d’œil faits aux lecteurs adultes. L’humour, les thèmes et même certains mécanismes narratifs sont directement hérités de la série originale, mais adaptés pour un public plus jeune.
Un duo père-fils en contraste : la dynamique familiale
La relation entre le père et le fils est au cœur de la série, et cette dualité est exploitée avec finesse par Geluck. Le contraste entre les deux personnages est évident dès le premier album. Là où le Chat est un personnage massif, souvent engoncé dans son costume-cravate, le fils est léger, mobile, et souvent représenté torse nu, en short. Cette opposition physique rappelle des duos comiques classiques tels que Laurel et Hardy, où la différence de gabarit et de caractère entre les personnages sert de ressort comique.
Ce contraste ne se limite pas à l’apparence physique, mais s’étend également aux dynamiques familiales et aux interactions entre les personnages. Le fils, par ses bêtises et son insouciance, nécessite constamment l’intervention de son père, ce qui donne lieu à des scènes de réconciliation souvent touchantes. Par exemple, dans La Surprise du chef, l’amour du fils pour son père est symbolisé par un idéogramme en forme de cœur lorsqu’il prend son père dans ses bras, une image qui résume à elle seule la tendresse et la complicité qui les unissent.
Un langage adapté aux enfants : de la conation à la narration
L’une des forces de Geluck réside dans sa maîtrise du langage et des jeux de mots. Dans la série du Chat, ce langage est souvent dense, bourré de paronomases, de paradoxes et de calembours, ce qui en fait un personnage à la fois locuteur et communicateur. Pour le Fils du Chat, Geluck a su adapter cet aspect à un public plus jeune. Là où le Chat interpelle directement le lecteur avec un regard conatif et des phrases percutantes, le Fils du Chat évolue dans un univers où le langage est au service de la narration. Le regard du personnage ne cherche plus à captiver le lecteur adulte, mais plutôt à l’immerger dans un récit simple et cohérent, accessible aux jeunes lecteurs.
Cette adaptation se traduit également par la simplification du discours. Les albums du Fils du Chat sont avant tout des récits continus, avec un format presque carré qui invite à une lecture linéaire et rassurante. Les thèmes abordés sont ceux de l’enfance : la peur, l’amour filial, les bêtises, et les petites aventures quotidiennes. L’humour de la série repose davantage sur le comique de situation que sur le jeu de mots, bien que ce dernier soit toujours présent, mais de manière plus subtile et accessible.
Un univers visuel et narratif distinct : la poétique du Fils du Chat
Si l’on devait résumer l’essence de la série du Fils du Chat, on pourrait parler de « poétique de l’unité et de la multiplicité ». Contrairement au Chat, dont les histoires sont souvent fragmentées en gags ou en strips, le Fils du Chat évolue dans des récits continus, où chaque album forme une unité narrative cohérente. Cependant, cette unité se conjugue à une multiplicité d’aventures, chaque album apportant son lot de micro-histoires qui se répondent et se complètent.
Le format des albums est également un élément clé de cette poétique. Les petits formats presque carrés invitent à une lecture intime, presque familiale. Geluck joue avec les contraintes de ce format pour créer des effets narratifs originaux, tels que la superposition des pages pour compléter un dessin, ou l’utilisation de la double page pour alterner les points de vue et créer du suspense. Par exemple, dans Le Soleil, une double page montre toute une ville réveillée par la trompette du Fils du Chat, soulignant l’universalité de la nuisance sonore à travers un jeu de texte et d’image.
L’humour visuel : du slapstick à la théâtralité
L’humour du Fils du Chat, bien qu’il diffère de celui du Chat, n’en est pas moins sophistiqué. Geluck exploite ici des procédés proches du slapstick, un genre comique visuel popularisé par des figures telles que Buster Keaton ou Charlie Chaplin. Dans Papa, j’ai peur !, l’enfant installe des pièges dans sa chambre pour se protéger de ses peurs nocturnes, et le père en devient la victime involontaire dans une séquence muette qui se conclut par une chute burlesque.
La série est également empreinte de théâtralité, un aspect que Geluck maîtrise particulièrement bien, ayant lui-même une expérience dans les arts de la scène. Les albums sont souvent ponctués de silences et de pages muettes, où le dessin prend le relais pour transmettre l’humour et l’émotion. Cette théâtralité est renforcée par l’usage des onomatopées, qui apportent une dimension sonore aux histoires, comme dans Les Vacances, où le Fils du Chat transforme sa maison en terrain de jeu imaginaire.
L’héritage du Chat pour les jeunes générations
La série du Fils du Chat est une véritable œuvre à part entière, qui tout en s’inscrivant dans la continuité de l’univers du Chat, propose une expérience de lecture unique pour les enfants. Geluck y déploie tout son talent pour adapter son humour, son langage et son univers visuel à un public plus jeune, sans jamais sacrifier la profondeur et la subtilité qui caractérisent son travail. À travers cette série, l’auteur montre qu’il est possible de s’adresser aux enfants avec intelligence et créativité, tout en respectant les codes et les attentes d’un lectorat plus jeune. En cela, le Fils du Chat est bien plus qu’un simple dérivé de la série-mère : c’est une œuvre à part entière, qui contribue à perpétuer l’héritage du Chat tout en ouvrant de nouvelles perspectives narratives et esthétiques.
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