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La révolution silencieuse : l'évolution des pratiques de lecture du Moyen Âge occidental face à l'héritage byzantin.
Au début du Moyen Âge, une profonde transformation des pratiques de lecture s'opère en Occident latin, marquant une rupture nette avec les traditions antiques. Contrairement à l'Orient grec où le livre conserve une place centrale, le monde occidental évolue vers une approche plus intérieure et spirituelle de la lecture, influencée par les contextes monastiques et religieux.
Continuité du livre à Byzance
Dans l'Empire byzantin, la tradition du livre ne faiblit pas. L'enseignement, qu'il soit public ou privé, élémentaire ou supérieur, reste omniprésent. L'alphabétisation, soutenue par la bureaucratie impériale, demeure un impératif social. Ainsi, la population laïque, avant même de rejoindre des institutions religieuses, maîtrise déjà la lecture et l'écriture. Les cercles de lecture et les bibliothèques privées sont courants à Byzance, où le livre, produit par des artisans copistes ou des amateurs, reste une marchandise essentielle. Les rouleaux, bien que remplacés peu à peu par le codex, continuent d'être utilisés dans la liturgie.
Un modèle de lecture persiste, ancré dans la tradition antique, formulé par Denys de Thrace. Ce dernier incite les lecteurs à méditer profondément sur l’œuvre, à se concentrer sur le titre, l'auteur, et les intentions de ce dernier. De plus, la lecture à voix haute, héritée de l'Antiquité, reste prépondérante à Byzance, rapprochant le texte écrit du discours parlé, proclamé ou prêché, contrairement à l'Occident médiéval où la lecture silencieuse s'impose progressivement.
La rupture en Occident latin
L'Occident latin, quant à lui, connaît une véritable transformation. Après la chute de l'Empire romain, les lieux publics de lecture disparaissent, confinant cette activité aux églises, monastères, et écoles religieuses. Le livre devient un instrument de contemplation spirituelle, plus qu'un outil de savoir. Les poèmes glorifiant les livres et la lecture ne fleurissent que dans les milieux ecclésiastiques.
À partir du XIIIᵉ siècle, un changement radical survient : la lecture oralisée, autrefois courante, cède le pas à la lecture silencieuse ou murmurée. Ce phénomène s'explique par la nature des textes, souvent à caractère religieux, destinés à être médités. Le codex, avec sa structure en pages, facilite la relecture, rendant la lecture plus introspective. Dans les monastères, où les moines vivent en communauté, la lecture se fait à voix basse, en respectant le silence ambiant.
La nouvelle structure du livre
Avec cette évolution de la lecture, le livre lui-même change. La page, autrefois compacte, s'organise différemment, laissant apparaître des espaces, des couleurs et des articulations qui permettent une meilleure lisibilité. Des techniques nouvelles, comme la rubrication, l’usage de paragraphes et de titres de chapitres, se développent. Ces innovations rendent la consultation des textes plus fluide, répondant aux besoins des lecteurs médiévaux, souvent engagés dans des pratiques de méditation ou de compilation.
La naissance des bibliothèques de lecture
C'est également à cette époque que naissent les bibliothèques conçues avant tout pour la lecture, et non plus seulement pour la conservation des ouvrages. Les ordres mendiants du XIIIᵉ siècle en sont les précurseurs. Ces nouvelles bibliothèques, ouvertes à la consultation, se distinguent par leur silence. Les livres, souvent enchaînés à des pupitres, sont mis à disposition des lecteurs dans de longues salles où règne une atmosphère studieuse. Le frottement des chaînes et le chuchotement des lecteurs constituent les seuls sons perceptibles dans ces lieux de savoir.
Le livre en langue vulgaire et l'humanisme
Aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles, l'alphabétisation s'étend progressivement au-delà des milieux religieux et aristocratiques, entraînant l'apparition de livres en langue vulgaire. Ces ouvrages, destinés à une bourgeoisie marchande et artisanale, marquent un tournant dans l'histoire du livre. Bien que le latin reste la langue savante, la lecture en langue vulgaire se répand, répondant à la demande de lecteurs désireux d'accéder à des textes moins érudits, mais plus accessibles.
Dans les cours princières, les livres deviennent non seulement des objets de lecture, mais aussi des symboles de richesse et de raffinement. Les enluminures somptueuses, les reliures précieuses en peaux ou en métaux, expriment la puissance et la splendeur des mécènes. Ces bibliothèques princières, souvent riches en livres en langue vulgaire, sont le berceau de l'humanisme au XVᵉ siècle, lorsque les textes grecs et latins classiques y font leur entrée. La lecture, dans ce contexte, devient un loisir aristocratique, pratiqué non dans les bibliothèques elles-mêmes, mais dans les salons et chambres des résidences seigneuriales.
L’histoire de la lecture, du livre et de ses usages au Moyen Âge occidental illustre un profond bouleversement. Tandis qu’à Byzance, les pratiques de l’Antiquité perdurent, l’Occident voit émerger de nouvelles formes de lecture, plus silencieuses, méditatives et introspectives. Le livre, quant à lui, devient un objet de contemplation spirituelle et de savoir intellectuel, marquant une étape essentielle dans l’évolution de la culture écrite en Europe.
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