Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
Le héros dans la bande dessinée : du bourgeois ridicule au super-héros moderne.
Dans la vaste économie narrative de la bande dessinée, le héros occupe une place centrale. Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le héros n’est pas nécessairement un être exceptionnel, doté de qualités hors du commun. Il est avant tout celui à qui il arrive des aventures. Ce simple fait suffit à le propulser au premier plan du récit. Qu’il soit intelligent, beau, honnête, ou même humain, n’a souvent que peu d’importance. Le héros peut tout aussi bien être un animal, un robot, voire un légume, comme le « Concombre masqué » de Mandryka. Cette variété de personnages montre à quel point la définition du héros dans la bande dessinée est flexible, et se prête à une grande diversité de récits et d'interprétations.
Les premières figures héroïques : du bourgeois au vaurien
Historiquement, les premiers héros de bande dessinée n’avaient rien d’héroïque au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Ils étaient plutôt des bourgeois ridicules, se moquant des convenances de leur époque. On pense aux œuvres de Rodolphe Töpffer avec ses personnages comme « Monsieur Jabot » ou « Monsieur Vieux Bois », mais aussi aux créations de Gustave Doré avec « César Plumet ». Ces personnages caricaturaux incarnaient des travers bourgeois, et leurs aventures étaient avant tout des critiques sociales, exprimées à travers des situations absurdes et humoristiques.
Le héros burlesque évolue ensuite vers des enfants terribles. Max et Moritz, créés par Wilhelm Busch, incarnent ce changement. Ces jeunes garnements inspireront une génération de personnages similaires, tels que « Buster Brown » ou encore les célèbres « Katzenjammer Kids » aux États-Unis. Ces enfants turbulents, souvent impliqués dans des bêtises qui tournent mal, préfigurent les personnages plus anarchiques qui apparaîtront plus tard dans la bande dessinée.
L’avènement de l’aventurier héroïque
Avec l’arrivée des années 1930, la bande dessinée se professionnalise et commence à structurer ses récits autour de personnages plus conventionnellement héroïques. Le héros de cette époque est souvent un homme d’action, fort et courageux, qui consacre ses talents à la justice. Tintin, Tarzan, Flash Gordon ou Jim la Jungle deviennent des modèles d’héroïsme pour les jeunes lecteurs. Ces personnages incarnent une masculinité triomphante, prête à affronter toutes les situations, du pilotage d’avions de chasse à la conquête de l’espace.
Ce modèle de héros est surtout marqué par une différenciation culturelle entre les États-Unis et l’Europe. Le héros américain est souvent entouré de figures féminines sexy et d’un serviteur indigène, tandis que le héros européen reste asexué et s’entoure d’autres hommes comme compagnons d’aventure. Cette distinction s’explique en partie par les publics ciblés : la bande dessinée américaine est largement diffusée dans la presse familiale, tandis que l’Europe s’adresse avant tout à un lectorat jeune.
Les professions du héros : des métiers banals sublimés
Dans la bande dessinée, les professions du héros sont souvent des métiers ordinaires, mais réinventés pour devenir le point de départ de grandes aventures. Qu’il soit détective, reporter, archéologue ou simple agent d’assurances, le héros est constamment confronté à des situations périlleuses, transformant son quotidien en une série de défis et de mystères. C’est notamment le cas de Tintin, ce reporter dont les investigations le mènent aux quatre coins du monde, ou de Spirou, groom intrépide toujours prêt à défendre la justice.
Les récits de bande dessinée mettent ainsi en avant une figure du héros qui, par essence, est destinée à « s’empêtrer dans des histoires » comme le dirait Wilhelm Schapp. La complexité des intrigues, avec leurs nombreux rebondissements, devient le terrain de jeu du héros, qui doit user de ruse et de courage pour s’en sortir.
Les compagnons du héros : faire-valoir, animaux et savants
Le héros ne fonctionne pas seul. Il est souvent entouré de personnages secondaires qui enrichissent le récit et permettent de souligner ses propres qualités ou défauts. Dans la tradition franco-belge, l’entourage du héros comprend trois rôles principaux : le faire-valoir, l’animal familier et le savant. On retrouve cette configuration dans les aventures de Tintin avec le capitaine Haddock, Milou et le professeur Tournesol, ou encore dans celles d’Astérix avec Obélix, Idéfix et Panoramix.
Le faire-valoir, souvent le compagnon fidèle du héros, incarne une humanité plus faillible. Il est courageux, loyal, mais aussi gaffeur et emporté, ce qui a pour effet de mettre parfois le héros dans des situations compliquées. C’est cette humanité, pleine de contradictions, qui fait de ces personnages des figures attachantes, capables de tomber amoureux, comme Obélix pour Falbala, ou de se tromper, comme Haddock face à la Castafiore.
L’anti-héros et le super-héros : deux figures opposées
À la fin des années 1960, avec la montée d’une bande dessinée destinée aux adultes, la figure de l’anti-héros prend de l’ampleur. Des personnages comme Achille Talon ou les Fabulous Furry Freak Brothers deviennent les dignes héritiers des Pieds Nickelés, mettant en scène des personnages contestataires, parfois amoraux, qui n’hésitent pas à bafouer les conventions.
D’un autre côté, le super-héros, particulièrement populaire aux États-Unis, incarne l’autre extrême de l’échelle héroïque. Superman, Batman et Spider-Man sont dotés de pouvoirs extraordinaires qui les placent au-dessus du commun des mortels. Ils deviennent des icônes, transcendées par les nombreuses reprises et adaptations auxquelles ils ont donné lieu.
L’évolution des représentations héroïques : du masculin au féminin
Pendant longtemps, le héros de bande dessinée était essentiellement un homme blanc. Cette hégémonie masculine et raciale s’explique par les structures de production et les attentes du public, mais elle commence à s’effriter à partir des années 1960. Barbarella, créée par Jean-Claude Forest, ou Laureline, de la série « Valérian », sont parmi les premières héroïnes à s’imposer dans un monde de bande dessinée largement dominé par des figures masculines. Ces personnages féminins apportent une nouvelle dynamique, incarnant souvent un féminisme naissant dans une société en pleine mutation.
Le héros d’aujourd’hui : artiste ou icône culturelle
Depuis les années 1970, un nouveau type de héros émerge dans la bande dessinée : l’artiste. Qu’il soit écrivain, peintre ou architecte, ce personnage, plus introspectif, reflète les questionnements contemporains sur l’art et la culture. Tintin lui-même devait, dans sa dernière aventure inachevée, évoluer dans le milieu artistique, preuve que même les héros les plus classiques peuvent se réinventer pour s’adapter aux préoccupations de leur temps.
Aujourd’hui, les héros de bande dessinée continuent de se transformer, oscillant entre fidélité aux archétypes traditionnels et exploration de nouvelles formes narratives. Qu’ils soient anti-héros, super-héros ou simples artistes, ils restent le point d’ancrage de récits qui, par leur complexité et leur diversité, ont su traverser les époques, devenant une véritable industrie culturelle.
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