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Le nez dans la caricature : un fil conducteur du XIXe siècle à l'imagerie d'Épinal.
Le nez, cet appendice central du visage humain, s’est révélé une source inépuisable d’inspiration pour les caricaturistes, les illustrateurs et les auteurs d’histoires en images tout au long du XIXe siècle. Sujet d’exagérations grotesques, il traverse les époques et les cultures, portant tour à tour des significations humoristiques, symboliques ou philosophiques. De Rodolphe Töpffer à Georges Bigot, en passant par l’imagerie Pellerin, le nez se transforme, s’allonge ou se déforme, tout en reflétant les contextes sociaux et culturels de son époque.
Une bande dessinée à « long nez » : satire et exotisme
Dans la caricature européenne, le nez a souvent servi à exagérer les traits distinctifs d’un personnage, qu’il s’agisse d’un politicien, d’un bourgeois ou d’un quidam. Mais l’usage du nez ne s’est pas limité à l’Occident. Dès la fin du XIXe siècle, dans les représentations graphiques japonaises influencées par la modernité occidentale, le « barbare au long nez » devient un stéréotype satirique pour désigner les Européens. Une planche humoristique éditée par l’imagerie Pellerin au début du XXe siècle montre un Japonais doté d’un nez démesuré, rappelant le Tengu, une divinité du folklore nippon, célèbre pour son appendice nasal proéminent. Loin d’être un fardeau, ce nez extraordinaire devient un outil d’équilibre pour son propriétaire, qui finit par faire fortune en tant qu’artiste de cirque. Cet exemple unique renverse le trope habituel du nez malheureux en une source de prospérité, révélant peut-être l’influence d’une certaine philosophie asiatique.
L’auteur derrière cette planche, publié sous le pseudonyme japonais « Shidari-Kiki », est en réalité Georges Bigot (1860-1927). Bien qu’il soit peu connu en France, Bigot est un acteur clé de l’histoire de la caricature au Japon, où il a laissé une empreinte durable.
Georges Bigot : entre Japonisme et satire sociale
Né en France, Georges Bigot s’imprègne du japonisme qui enflamme les milieux artistiques européens à la fin du XIXe siècle. Attiré par l’art de l’Ukiyo-e, il part pour le Japon en 1882 et s’installe à Yokohama. Là, il enseigne les techniques occidentales de dessin et d’aquarelle tout en publiant des caricatures dans des journaux locaux. En collaboration avec l’Anglais Charles Wirgman, éditeur du Japan Punch, Bigot contribue à introduire le modèle des journaux humoristiques européens au Japon, marquant ainsi les débuts de la caricature sociale et politique nippone.
Selon Frederik Schodt, spécialiste de la bande dessinée japonaise, Bigot aurait influencé la narration graphique japonaise en introduisant des techniques de mise en page, notamment la succession des dessins dans des cases sur une même page. Cette innovation, bien qu’encore méconnue, place Bigot parmi les précurseurs du manga moderne.
Dans Mille ans de manga (2007), Brigitte Koyama-Richard illustre cette influence en présentant une lithographie intitulée Les Occidentaux qui ont du mal à s’habituer à la vie japonaise. La planche explore les différences culturelles entre Japonais et Européens, un thème récurrent chez Bigot, qui a su capturer avec humour la transition du Japon vers la modernité.
Un retour en France : de Yokohama à l’imagerie Pellerin
Après son retour en France en 1899, Bigot poursuit son œuvre graphique en collaborant avec l’imagerie Pellerin d’Épinal, célèbre pour ses histoires en images populaires. De 1906 à 1915, il produit plus de 70 planches, souvent inspirées des folklores asiatiques. Ses récits puisent dans les traditions japonaises, chinoises et vietnamiennes, qu’il adapte avec finesse pour le public français.
Les planches de Bigot pour Pellerin, telles que L’enfant et la belette ou La fidélité mal récompensée, témoignent de son souci du détail et de son respect pour les cultures qu’il représente. Contrairement aux clichés exotiques de son époque, Bigot soigne les décors, les costumes et les coiffures de ses personnages, tout en injectant une dose d’humour et de fantaisie.
Un exemple frappant de cette approche est la planche Monsieur Hétonné au Japon, publiée dans Le Petit Journal illustré de la Jeunesse en 1905. Cette bande dessinée en couleurs relate les aventures d’un touriste français découvrant avec étonnement les coutumes japonaises, de l’utilisation des baguettes à l’obligation de retirer ses chaussures avant d’entrer dans une maison. Ce récit illustre à la fois l’humour de Bigot et son regard aiguisé sur les chocs culturels.
Une œuvre à découvrir
Georges Bigot, bien qu’oublié en France, mérite une place de choix dans l’histoire de l’art graphique. Ses collaborations avec l’imagerie Pellerin et ses travaux au Japon révèlent un artiste à la croisée des cultures, capable d’explorer avec intelligence et sensibilité les différences entre Orient et Occident. Les œuvres de Bigot, telles que La Vengeance du Kourouma ou L’Oiseau Merveilleux, disponibles sur des plateformes comme Erfgoedinzicht.be, offrent une plongée fascinante dans un univers graphique empreint de poésie et d’humour.
Ainsi, le parcours de Bigot démontre que la caricature et les histoires en images, même considérées comme des formes d’art « populaires », peuvent transcender les frontières culturelles et devenir des outils puissants de dialogue entre les civilisations. À travers le prisme du nez et de ses nombreuses variations, Bigot nous invite à réfléchir sur les points communs et les différences qui façonnent nos perceptions de l’autre.
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