L’histoire du papier commence bien avant notre ère, au cœur de la Chine antique. C’est aux alentours de 150 av. J.-C....
Le phénomène Brontë : mythe littéraire, intemporel et pluriel.
Lorsqu’il s’agit d’évoquer les grandes figures littéraires, le nom Brontë s’impose avec une intensité rare, une sorte d’absolu émotionnel et esthétique. Georges Bataille, éminent penseur du XXᵉ siècle, qualifiait Les Hauts de Hurlevent de "peut-être la plus belle, la plus violente des histoires d’amour". Cette œuvre, née de la plume d’Emily Brontë, illustre la radicalité de l’amour et de la mort en une fusion indissociable. Plus récemment, Lydie Salvayre, lauréate du prix Goncourt en 2014, soulignait le caractère incandescent de l’écrivaine qu’elle décrit comme "allumée", pour qui "l’écriture n’est pas un supplément d’existence, mais l’existence même". Mais au-delà de ces hommages vibrants, qu’est-ce qui explique l’immortalité et l’attrait persistant du mythe Brontë dans notre imaginaire collectif ?
L’héritage Brontë : une fabrique de mythes littéraires
La récente sortie en France du film Emily, réalisé par l’actrice australienne Frances O’Connor, relance cette question. À quoi tient le "phénomène Brontë" ? Pourquoi cette famille, issue d’un presbytère du Yorkshire balayé par les vents, continue-t-elle de fasciner des générations de lecteurs, de cinéastes et de musiciens ? Le mythe Brontë serait-il emblématique d’une certaine idée de "l’amour en Occident", où passion et tragédie se mêlent intimement ?
Pour répondre, il faut d’abord s’interroger sur la substance même des œuvres des sœurs Brontë. Contrairement à l’imagerie souvent édulcorée d’une Jane Austen à Hollywood, le romantisme des Brontë est brut, farouchement objectif et profondément corrosif. Les Hauts de Hurlevent d’Emily, Jane Eyre de Charlotte et Agnes Grey d’Anne, toutes publiées en 1847, transcendent les conventions littéraires de leur époque. Leur charge émotionnelle magnétique n’a cessé d’inspirer des adaptations, plus de trente au total, dont celles marquantes d’André Téchiné en 1978 et de Jacques Rivette en 1985.
Pourtant, comme souvent, le passage de la littérature au cinéma peut diluer la force des œuvres. Le film Emily de Frances O’Connor, bien qu’ambitieux, tombe dans un paradoxe : il revisite la vie et l’œuvre d’Emily Brontë, mais en déformant les faits et en affaiblissant la dimension collective si essentielle à l’identité Brontë.
Emily, entre fiction et empowerment
Le film Emily incarne un geste audacieux, mais non sans concessions. Frances O’Connor choisit d’éluder le nom de famille dans son titre, isolant Emily de ses sœurs et de son frère, Branwell. Ce choix, triple en signification, magnifie Emily en tant qu’individualité, mais au détriment de la fratrie Brontë. Pire encore, la représentation de Charlotte, la plus âgée des sœurs, en fillette jalouse et terne, affaiblit une vision féministe pourtant revendiquée.
O’Connor pousse l’audace jusqu’à inventer une histoire d’amour entre Emily et un vicaire fictif, tandis qu’un tatouage sur le bras d’Emily proclame une liberté de pensée presque anachronique. Ces choix narratifs, bien qu’assumés, soulèvent une question essentielle : peut-on trahir les faits pour exalter le mythe ? Car derrière cette fabulation se cache une réalité souvent occultée : le génie des Brontë était profondément collectif.
Les Brontë : une création à plusieurs voix
La véritable richesse des Brontë réside dans leur collaboration initiale. Dès leur enfance, les quatre frères et sœurs créèrent ensemble un univers fictionnel foisonnant, connu sous le nom de Juvenilia. Ce corpus, composé de milliers de pages, regorge d’aventures et de récits inventés. Ces écrits précoces témoignent de l’imaginaire partagé qui nourrira leurs œuvres individuelles.
La maison familiale de Haworth, nichée au cœur d’un Yorkshire austère, fut le creuset de cette créativité. Ce presbytère, à proximité du cimetière local, incarnait une "hétérotopie", pour reprendre le terme de Michel Foucault : un espace clos mais riche en potentialités imaginatives. C’est dans ce lieu à la fois isolé et ouvert sur le monde que les Brontë puisèrent une force créative unique.
Une lande intemporelle, symbole du mythe Brontë
Le paysage du Yorkshire joue un rôle central dans l’imaginaire Brontë. Cette terre battue par les vents et la pluie devient presque un personnage à part entière dans leurs récits. La lande, sauvage et indomptable, symbolise un retour à l’essentiel, un affrontement direct avec les forces de la nature et de l’âme humaine. Ce décor forge une mythologie profondément enracinée, où les Brontë transcendent leur condition de femmes écrivaines dans une société patriarcale.
Leur choix de publier sous des pseudonymes masculins – Currer, Ellis et Acton Bell – témoigne d’un défi aux normes de leur époque. Lorsque le public découvrit que ces œuvres étaient l’œuvre de trois femmes, l’effet fut dévastateur. La sidération renforça la puissance du mythe : celui d’une famille de femmes d’exception, capables de rivaliser avec les plus grands noms masculins de la littérature.
Kate Bush et la modernité du mythe
Le mythe Brontë a aussi su s’adapter aux époques, traversant les générations pour inspirer des artistes modernes. L’exemple le plus emblématique reste la chanteuse britannique Kate Bush, qui, en 1978, lança sa carrière avec Wuthering Heights, une chanson inspirée du roman éponyme. Avec sa voix éthérée et son style théâtral, Kate Bush réinterpréta l’énergie brute d’Emily, devenant à son tour une figure intemporelle.
Une puissance créative toujours vivace
En définitive, le phénomène Brontë ne se limite pas à des romans ou à une époque révolue. Il incarne une énergie indomptable, une capacité à renaître sans cesse sous de nouvelles formes. Que ce soit par la littérature, le cinéma ou la musique, le mythe Brontë demeure un espace de réinvention et d’inspiration, où l’amour, la mort et la création littéraire se mêlent en un tout indissociable. Ces "hurlevents" littéraires continueront longtemps encore à résonner dans nos imaginaires.
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