Les Bestiaires médiévaux ou quand les animaux enseignent la morale chrétienne.

Les Bestiaires, aussi appelés « livres des natures des animaux », visent avant tout à enseigner une morale chrétienne simple et accessible. Reprenant la tradition du "Physiologus", un texte grec de l'Antiquité, ces ouvrages prêtent aux animaux des personnalités et des comportements anthropomorphiques. En attribuant des qualités humaines aux animaux, les auteurs médiévaux utilisent ces créatures pour illustrer des sermons et transmettre des leçons de vie.

Les animaux comme modèles de vertu

Savez-vous que la belette conçoit par l'oreille et met bas par la bouche ? Que le pélican ramène ses petits à la vie avec son propre sang ? Héritiers des récits de l'Antiquité, les Bestiaires médiévaux enseignent la morale chrétienne par l'exemple des animaux, n'hésitant pas, si nécessaire, à quelque peu broder sur la réalité. Ces ouvrages, véritables trésors de la littérature médiévale, ont également été une source d'inspiration féconde pour les artistes de cette époque.

Par exemple, une anecdote commune dans ces récits est celle de la tigresse. Lorsqu'un chasseur lui vole son petit, elle est dupée par sa propre image reflétée dans un miroir, ce qui lui fait perdre de vue sa proie. Cette histoire est utilisée pour illustrer les dangers de l'illusion et de la vanité.

Une vision hiérarchisée du monde

Les Bestiaires reposent sur l’idée qu’il existe, comme le raconte la Genèse, une hiérarchie divine entre toutes les créatures. Selon cette vision, l’Homme occupe le sommet de cette hiérarchie. Dans son œuvre "La Consolation de Philosophie", l’un des textes les plus lus au Moyen Âge, Boèce compare ainsi les hommes éloignés du Bien à des animaux, soulignant l'importance de la vertu humaine.

La floraison du genre littéraire

Les Bestiaires font leur apparition en Angleterre au 12e siècle, destinés principalement au monde aristocratique. Ils se répandent ensuite dans le Nord de la France et en Normandie. Les versions en latin s’adressent aux clercs, tandis que les versions en français sont destinées aux laïcs. Ce genre littéraire connaît une floraison avec des œuvres notables telles que le "Bestiaire" de Philippe de Thaon (vers 1120), le "Bestiaire divin" de Guillaume le Clerc et le "Bestiaire" de Gervaise (vers 1150).

Parmi les représentants majeurs du genre, on trouve également le "De animalibus" d’Albert le Grand (1260), une compilation didactique et morale. Le "Bestiaire d’Amour" de Richard de Fournival (vers 1250), parodie courtoise du bestiaire moralisé, marque la fin du genre.

Les origines du Physiologus

Les nombreux ouvrages médiévaux consacrés aux animaux dérivent du "Physiologus". Ce texte grec du 2e siècle, associant des citations de la Bible à des descriptions d’animaux, a créé une typologie chrétienne à partir de la juxtaposition d’une image zoologique et d’un emblème christique. Le "Physiologus" a ainsi posé les bases de l'interprétation chrétienne de la nature, en établissant des parallèles entre les comportements animaux et les vertus ou vices humains.

Des manuscrits richement illustrés

Les manuscrits des bestiaires sont souvent richement illustrés et leur iconographie obéit à des codes précis. Les bestiaires latins commencent généralement par les bêtes sauvages, en particulier le lion, avant de passer aux animaux domestiques, puis aux petites bêtes comme les fourmis, les oiseaux, les insectes, les monstres et les vers. En revanche, les bestiaires français ont tendance à entremêler ces catégories, tout en commençant souvent par le lion.

Les illustrations jouent un rôle crucial dans ces manuscrits. Le nom de l’animal est prolongé par une description de ses principales caractéristiques et par une représentation figurée. Selon Richard de Fournival, « La mémoire a deux portes, la vue et l’ouïe ; et chacune ouvre sur un chemin qui y conduit, la peinture et la parole. » Cette approche visuelle et narrative permet de graver les leçons morales dans l’esprit des lecteurs.

L’évolution et la diversification des écrits sur les animaux

Les bestiaires avaient pour principal objectif l’édification du chrétien. Ils étaient destinés à servir de support à la prédication et permettaient d’interpréter les représentations sculptées de l’art roman. Repris dans des compilations encyclopédiques, les bestiaires s’enrichirent de l’apport de naturalistes comme Aristote, redécouvert au 13e siècle, tout en conservant une tonalité très religieuse. La traduction en français élargit leur diffusion à l’aristocratie laïque.

Un autre type d’ouvrages mettant en scène des animaux, comme les fables et les satires, projette sur eux les qualités et les défauts des hommes pour élaborer une critique de la société et du pouvoir, en énonçant ou en sous-entendant une morale. Ainsi, le "Roman de Renart" ou le "Roman de Fauvel" sont des exemples de cette tradition ancienne.

L’émergence des livres de chasse et des calendriers

La littérature sur les animaux prend un tournant au 14e siècle avec l’apparition des livres de chasse, qui répondent à la curiosité de l’homme pour les bêtes qu’il chasse. Les descriptions, alimentées par l’observation et l’expérience, deviennent précises et réalistes, et des conseils techniques y sont prodigués.

Enfin, les calendriers des livres de prières, datant essentiellement du 15e et du début du 16e siècle, sont remplis d’animaux de la vie quotidienne rurale, illustrant les travaux des mois à la campagne. Ces illustrations offrent un aperçu vivant des saisons et des activités agricoles, marquant ainsi une évolution vers une représentation plus réaliste et quotidienne des animaux.

Panthère | Bibliothèque nationale de France

Héritage et influence des Bestiaires

Les Bestiaires médiévaux sont bien plus que de simples compilations de faits sur les animaux. Ils sont des miroirs de la pensée chrétienne médiévale, utilisant la nature pour enseigner des leçons de morale. Ces œuvres, à la croisée de la littérature, de la théologie et de l’art, continuent de fasciner par leur richesse symbolique et leur beauté esthétique.

L’influence des Bestiaires s’étend bien au-delà de leur époque. Leur structure et leurs motifs ont inspiré les encyclopédies naturalistes ultérieures et ont laissé une empreinte durable sur la littérature et l’art européen. Les manuscrits illustrés des Bestiaires, avec leurs riches enluminures, ont également contribué au développement de l’iconographie médiévale.

Aujourd’hui, ces œuvres sont étudiées non seulement pour leur contenu moral et religieux, mais aussi pour leur valeur artistique et historique. Les Bestiaires offrent un aperçu précieux de la façon dont les hommes du Moyen Âge percevaient le monde naturel et leur place dans la création divine. Ils rappellent l'importance des histoires et des images dans la transmission des valeurs et des connaissances à travers les âges, et leur charme continue d’opérer, captivant les lecteurs modernes par leur mystère et leur beauté.