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Les bibliophiles rémois : l’héritage singulier des Hédouin de Pons-Ludon.
L’histoire des bibliophiles rémois prend un tour particulier avec Joseph-Antoine Hédouin de Pons-Ludon (1739-1817) et son fils Aubin-Louis (1783-1866), deux figures à la fois originales et fascinantes, qui laissèrent une empreinte durable dans la vie culturelle de Reims. Leur passion pour les livres, l’érudition et les controverses littéraires confèrent à leur existence un caractère unique, marqué par l’excentricité, l’engagement intellectuel et un attachement sans faille à l’écrit.
Joseph-Antoine Hédouin de Pons-Ludon : un parcours militaire et littéraire
Né à Reims le 5 février 1739 dans une famille alliée aux Colbert, Joseph-Antoine grandit dans une maison située au coin de la rue de la Clef et de la rue de l’Ermitage. Dès son plus jeune âge, il se démarque par un choix singulier : après avoir lu dans L’Histoire de France de l’abbé Velly (1755) l’anecdote d’un certain Hédoin, amant d’une fille de Charlemagne, il retranche le « u » de son nom pour en devenir l’homonyme. Ce choix, aussi anecdotique qu’emblématique, illustre déjà son penchant pour les gestes symboliques et littéraires.
Joseph-Antoine suit des études au Collège des Bons-Enfants avant de s’engager dans une carrière militaire. De 1757 à 1771, il parcourt les champs de bataille et les mers : il combat sous les ordres du corsaire François Thurot, participe à la bataille de Crévelt et devient lieutenant dans le régiment provincial de Champagne. Pourtant, son attachement à Reims reste constant. De retour dans sa maison rue Saint-Hilaire, il se retire dans un environnement que l’on peut presque qualifier de sanctuaire intellectuel : une demeure modeste, aux fenêtres gothiques et sculptées, où il lit les gazettes et écrit sans relâche.
L’activité littéraire de Joseph-Antoine est marquée par une ironie mordante et une critique sociale virulente. En 1766, il publie anonymement Livres nouveaux, un placard diffamatoire qui suscite l’indignation. Deux ans plus tard, il signe un Essai sur les grands hommes d’une partie de la Champagne, où il railla ouvertement certaines familles influentes. Cet esprit frondeur, allié à une activité contestataire, lui vaut des persécutions : après une destitution qu’il juge arbitraire en 1773, il sera emprisonné à deux reprises au château de Ham.
Son cousin, Jean-Baptiste-Antoine Hédouin, apporte une contribution inattendue à cette saga familiale. En 1782, il publie anonymement Esprit de Guillaume-Thomas Raynal. Joseph-Antoine, par solidarité, accepte d’en assumer la paternité, au prix d’un bras de fer avec la censure.
Un bibliophile passionné et révolu à sa cause
L’exil intérieur de Joseph-Antoine se double d’un dévouement à la bibliophilie. L’achat de livres, l’écriture et les ex-libris sont au cœur de sa vie. En 1763, il commande à Simon-Nicolas Varlet de Semeuze un ex-libris armorié, symbole de son attachement au patrimoine familial et intellectuel. Il conserve précieusement sa collection, constituée d’ouvrages rares, historiques et littéraires. La maison familiale devient ainsi un véritable centre de gravité pour les érudits rémois.
Joseph-Antoine s’éteint le 27 octobre 1817, laissant derrière lui une bibliothèque foisonnante et une épitaphe à son image :
« Ci-gît sous ce triste cyprès / Un homme de tous les mérites. / Il fut médisant, mais exprès / Pour démasquer les hypocrites. »
Aubin-Louis Hédouin de Pons-Ludon : le prolongement d’une passion
Le benjamin de Joseph-Antoine, Aubin-Louis, naît à Épernay en 1783. Dans le sillage de son père, il développe une passion pour l’érudition. Polyglotte et géographe, il excelle dans la critique des ouvrages contemporains. En 1802, il relève 104 erreurs dans les Éléments de géographie de l’abbé Antoine Bertin, avant d’être publié par le géographe Konrad Malte-Brun dans les Annales des voyages. Son esprit critique et son admiration pour Napoléon le placent souvent en porte-à-faux avec ses contemporains.
En 1835, il dresse un portrait amer de la société rémoise dans une lettre à sa cousine Augustine. Avec son style tranchant, il fustige l’égoïsme, la cupidité et l’hypocrisie de ses concitoyens, tout en exprimant son dénuement matériel.
Son quotidien, austère et hors du temps, est dépeint avec une minutie poignante : vêtements désuets, panier couvert, absence de cuisine et d’éclairage. Il vit au milieu des livres, dans un fatras indescriptible où se mêlent ouvrages rares et éphémérides. Sa maison devient le lieu de rencontres annuelles des littérateurs rémois.
Le destin d’une bibliothèque exceptionnelle
Après la mort d’Aubin-Louis en 1866, sa bibliothèque, riche de milliers d’ouvrages couvrant tous les domaines du savoir, est vendue. Sa fidèle servante, Joséphine Thierrart, cède la collection pour une somme dérisoire, laissant partir un patrimoine intellectuel inestimable vers Paris.
Aujourd’hui, les Hédouin de Pons-Ludon restent des figures emblématiques des bibliophiles rémois. Leur vie, à la croisière de l’excentricité et de l’engagement, témoigne d’un attachement profond à la culture écrite et à la transmission du savoir. Leur épopée littéraire, à l’image de leurs bibliothèques, demeure une source d’inspiration et un précieux épisode de l’histoire intellectuelle rémoise.
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