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Les ex-libris, marques d'identité pour les bibliophiles.
L'expression latine « ex libris », signifiant littéralement « des livres de », illustre une tradition riche et ancienne liée à l'univers des bibliophiles. Par métonymie, l'« ex-libris » désigne une étiquette ou une vignette apposée sur le contreplat supérieur des reliures d’un livre. Cette pratique, adoptée par les amateurs de livres depuis des siècles, témoigne non seulement de l'appartenance d'un ouvrage à un propriétaire, mais évoque également l'histoire de bibliothèques dispersées et les personnalités qui les ont constituées. Comme le rappelle Henri Bouchot dans Les Ex-Libris et les Marques de possession du livre (1891) : « C’est que, collés aux livres, les ex-libris sont vivants, et que, réunis en tas, ils sont morts. »
Une tradition née en Allemagne
Bien que les bibliophiles français aient longtemps préféré décorer leurs livres avec des reliures ornées de leurs armoiries ou de leurs chiffres, les amateurs de livres allemands ont favorisé l'usage des ex-libris dès les premiers temps de cette pratique. Ce choix semble refléter une préoccupation pour la valeur intrinsèque du livre, indépendamment de son apparence extérieure. C'est en Allemagne que les premiers ex-libris, tels qu'on les connaît aujourd'hui, sont apparus.
L’un des plus anciens ex-libris allemands conservés est celui de Hans Knabensberg, surnommé « Igler ». Gravée sur bois entre 1450 et 1480, sa vignette représente un hérisson broutant un gazon fleuri, accompagné de l'inscription humoristique : « Hanns Igler das dich ein Igel küss » (Que Hans Igler te donne un baiser de hérisson). Deux exemplaires de cet ex-libris sont préservés au Cabinet des médailles de Munich, soulignant son importance historique.
Les débuts de l’ex-libris en France
En France, l'usage des ex-libris s’est diffusé plus tardivement. Selon les recherches de Georges Saffroy publiées dans L’Intermédiaire des chercheurs et curieux (1918), les premiers ex-libris français imprimés remontent au début du XVIe siècle. Parmi eux, celui du cardinal de Tournon, daté de 1515, est l’un des plus anciens. Les premiers propriétaires français qui ont adopté cette pratique étaient souvent des personnalités éminentes, telles que des hommes d’Église ou des juristes, comme Jean Bertrand, jurisconsulte, ou encore Nicolas de Lescut.
Un exemple particulièrement remarquable est celui de Nicolas de Lescut, dont l’ex-libris est décrit comme un travail d’origine allemande. Celui-ci aurait été commandé pendant que Lescut représentait le duc de Lorraine à la Diète de Spire en 1541 (Les Ex-Libris français depuis leur origine jusqu’à nos jours, Poulet-Malassis, 1875).
Les premiers ex-libris notables : un patrimoine riche
Voici une sélection d’ex-libris marquants qui illustrent la diversité et la richesse de cette pratique en France :
Fausto Andrelini (1461-1518) : Cet ex-libris, créé à Paris en 1496, est considéré comme l’un des plus anciens. Il représente un pin déraciné avec un écu orné d’une fleur de lys et une pomme de pin, accompagné de la devise « Spes mea Deus » (Dieu est mon espoir). Conservé à la Bibliothèque de Yale, cet ex-libris témoigne de la sophistication des premières gravures sur bois.
Jean Bertaud (1502-1572) : Son ex-libris, gravé sur bois en 1529, représente saint Jean et l’Apocalypse. Un distique humoristique promet une récompense liquide à quiconque rapportera le livre en cas de perte. Cet exemplaire est aujourd'hui préservé à la Bibliothèque municipale de Périgueux.
Conrad Lycosthènes (1518-1561) : Cet ex-libris historié, gravé sur un métal mou, arbore les armoiries de ce philosophe et historien alsacien. Collé dans un ouvrage publié à Bâle en 1550, il reflète la richesse culturelle de la Renaissance alsacienne.
François de La Rochefoucauld-Randan (1558-1645) : Ce cardinal, abbé de Tournus, utilisa un ex-libris armorié portant la mention « Ex bibliotheca ». Cet exemple, daté entre 1575 et 1584, est considéré comme le premier véritable ex-libris français armorié (L’Ex-Libris de F. de La Rochefoucauld, 1896).
Martin et Melchior Ergersheim (1535) : Leur ex-libris, collé sous les colophons de volumes, porte une inscription en latin indiquant la donation des livres à l'église Notre-Dame de Sélestat. Cet exemple est conservé à la Bibliothèque humaniste de Sélestat.
La diversité des styles et des usages
Les ex-libris, bien que variés dans leur conception, révèlent des choix stylistiques et fonctionnels très significatifs. Certains, comme ceux de Jacques Thiboust, notaire et secrétaire du roi, mettent en avant des devises personnelles et des armoiries complexes. D'autres, plus simples, portent simplement la mention « Ex libris », comme celui de Jean Gaudon, lieutenant-général au domaine de Bourbonnais.
Ces marques d'appartenance ne se limitent pas à des considérations pratiques. Elles traduisent souvent une dimension artistique et personnelle. En effet, les propriétaires de livres voyaient dans leurs ex-libris une manière de manifester leur érudition, leur foi ou leur attachement à leurs biens.
L’histoire des ex-libris est intimement liée à celle des livres eux-mêmes. Bien plus qu’une simple marque de possession, ils sont le reflet des goûts, des valeurs et des personnalités de leurs propriétaires. Qu'ils soient gravés sur bois ou métal, imprimés ou collés, ces précieux témoins nous offrent une fenêtre sur l’histoire culturelle et intellectuelle de leur époque. Leur étude, comme l’ont démontré Henri Bouchot et d'autres spécialistes, permet de reconstituer des bibliothèques dispersées et de raviver la mémoire des bibliophiles d'antan, nous rappelant que les livres, tout comme leurs marques de possession, sont des objets vivants et porteurs d’histoires.
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