Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
Les faux autographes, art de la contrefaçon et mystères historiques.
Si les faux autographes restent rares, cela s'explique par une raison simple : créer de faux autographes est bien moins rentable que de falsifier des tableaux ou des meubles. Même si le prix des lettres peut fluctuer avec le marché, il n'atteindra jamais les sommets d'un Van Gogh. Logiquement, les faussaires se sont donc davantage orientés vers la peinture. Toutefois, il ne faut pas ignorer le phénomène des faux autographes, surtout ceux hérités du XIXe siècle qui apparaissent parfois sur le marché.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, imiter une signature n'est pas une tâche aisée : pour reproduire fidèlement les écritures, le style littéraire et même les fautes d'orthographe, le faussaire doit s'immerger totalement dans l'univers de l'auteur, comprendre ses habitudes et sa pensée. Ce n'est pas seulement une question de forme, mais de psychologie. Cela nécessite une étude approfondie des documents authentiques. Le parcours de notre premier faussaire illustre bien cette complexité.
Félix Sébastien Feuillet de Conches (1798-1887) était diplomate, historien de l'art et journaliste. Voyageant fréquemment dans le cadre de sa profession, il rapportait des œuvres d'art de divers pays et constituait une immense collection de tableaux, d'objets d'art, et surtout de lettres autographes, qu'il considérait comme une source essentielle de connaissance. Sa vaste collection attirait les collectionneurs et la presse, mais suscitait aussi la méfiance des institutions comme l'École des Chartes, chargée de former les conservateurs et bibliothécaires de haut niveau. En 1846, cette institution exprime de sérieux doutes sur l'authenticité d'un document supposément écrit par Rabelais : « Nous avons refusé de croire qu’une lettre appartenant aujourd’hui à M. Feuillet de Conches […] fût, comme on le prétend, un autographe de Rabelais […] Nous déclarons que non-seulement les écritures de ce dernier document ne ressemblent pas à l’écriture de Rabelais, mais qu’elles en diffèrent de la manière la plus radicale » (in « Bibliothèque de l’École des Chartes », Tome troisième, 1846).
Un siècle plus tard, Stefan Zweig, dans son livre « Marie-Antoinette », souligne le manque de crédibilité des nombreuses lettres de Marie-Antoinette présentes dans la collection Feuillet de Conches : presque toutes sont signées par la reine, alors que, au XVIIIe siècle, il était rare de signer ses lettres, le sceau et l'écriture étant suffisants pour identifier l'expéditeur. Cela pourrait être une stratégie du faussaire pour rendre ces lettres plus attractives aux acheteurs potentiels. En 1875, Feuillet de Conches met en vente sa collection aux enchères.
Malgré la condamnation du faussaire, Zweig admire la perfection de ces imitations : « Là, comme nul autre vivant, il connaissait la matière, l’écriture et les circonstances […] il en arriva à fabriquer une foule de faux dont la perfection est effectivement troublante tant le style est imité avec tact et les détails imaginés avec le sens de l’Histoire » (in « Marie-Antoinette », note de l’auteur, 1932).
Feuillet de Conches n'a jamais été reconnu coupable, car ses faux étaient d'excellente qualité et noyés parmi de nombreux documents authentiques, préservant ainsi le mystère autour de ses créations. Le cas de notre second faussaire, cependant, est encore plus rocambolesque.
Denis Vrain-Lucas, né en 1816, n’a pas eu une éducation prestigieuse et n'a pas obtenu son baccalauréat. Il tente de travailler dans les bibliothèques et les librairies, sans succès. Il trouve alors un emploi modeste dans un cabinet de généalogie, réputé pour fabriquer des faux, à une époque où prouver une ascendance noble et ancienne était un atout.
Ayant appris les techniques de vieillissement artificiel, Vrain-Lucas cherche une victime idéale. Au début des années 1860, il entend parler de Michel Chasles, un mathématicien renommé passionné de manuscrits anciens, particulièrement scientifiques, et désireux d’écrire un livre sur le sujet. Vrain-Lucas se présente à lui avec une collection mystérieuse, prétendument remplie de trésors rares.
Séduit, Chasles achète plusieurs lettres de personnages célèbres comme Molière, Rabelais, et Pascal. Impressionné par leur qualité, il demande à Vrain-Lucas d’en obtenir davantage. Ce dernier produit alors des centaines de lettres, jusqu’à 27 000, signées par des figures aussi improbables que Cléopâtre, Vercingétorix, Lazare le ressuscité, et Charlemagne. Ces documents, rédigés dans un français compréhensible et sur du papier relativement récent, auraient dû éveiller des doutes, mais Chasles, confiant, continue d’acheter.
En 1867, Vrain-Lucas propose une lettre de Pascal à Newton, affirmant que la théorie de la gravitation est une découverte de Pascal, donc française. Chasles présente cette lettre à l’Académie des Sciences, mais ses confrères sont sceptiques. Vrain-Lucas crée alors de nouvelles lettres pour répondre aux incohérences. Finalement, un archiviste, Prosper Faugère, conteste l’authenticité de la collection. Un procès est organisé en 1869, et les lettres de Cléopâtre et Lazare sont lues à la cour, suscitant l'hilarité générale. Vrain-Lucas est condamné à deux ans de prison et 500 francs d’amende, une somme dérisoire comparée aux profits réalisés. Il ne révélera jamais ce qu’il a fait de l’argent.
Presque tous les faux de cette vaste escroquerie ont été détruits après le procès, mais quelques centaines de lettres sont conservées à la Bibliothèque Nationale de France. Ces reliques montrent que, malgré les invraisemblances, l'art de Vrain-Lucas était impressionnant, ses écritures et signatures souvent crédibles, représentant un travail considérable sans l'aide d'internet.
Aujourd’hui, avec nos bases de données et nos références, les risques de telles escroqueries sont moindres pour les documents anciens. Les principaux faux en circulation datent du XIXe siècle et sont désormais bien connus. Le danger réside davantage dans les fac-similés et autres « pre-print » qui abondent sur eBay. De plus, les autographes modernes de stars de la musique, du cinéma et du sport sont souvent imités. Combien de faux autographes des Beatles circulent-ils ? Probablement des milliers, car une signature du groupe peut valoir près de 10 000 euros. Il est donc crucial de s’adresser à des experts compétents, en privilégiant les professionnels expérimentés et fiables.
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