Les Goncourt et le paysage éditorial au XIXe siècle.

L'histoire de la littérature française au XIXe siècle ne saurait être complète sans une étude approfondie des relations complexes entre écrivains et éditeurs. Parmi les figures emblématiques de cette époque, Edmond et Jules de Goncourt occupent une place prépondérante, non seulement par la qualité littéraire de leurs œuvres, mais aussi par leur vision des droits d'auteur et de leur interaction avec le monde de l'édition. Cet article propose de revisiter cette période en mettant l'accent sur la conception des Goncourt vis-à-vis des droits d'auteur, tout en valorisant l'importance des livres anciens qui ont marqué cette époque.

Une vision révolutionnaire des droits d'auteur

Dès janvier 1861, les frères Goncourt, dans leur Journal, expriment une idée forte : « La propriété littéraire, la moins légale des propriétés, parce qu’elle est la plus légitime ». Cette réflexion, inspirée des débats révolutionnaires sur la propriété intellectuelle, démontre leur attachement à une vision quasi sacrée du droit d'auteur, perçu comme un prolongement naturel de l'âme de l'écrivain.

Ce point de vue s'inscrit dans un contexte où la reconnaissance légale des droits d'auteur, amorcée avant la Révolution française, est encore en pleine mutation. Les Goncourt, témoins d'un champ littéraire en pleine évolution, voient dans cette reconnaissance un recul par rapport à l'époque de Voltaire et des Lumières, où l'auteur jouissait d'une autonomie plus affirmée. Ils critiquent vivement l'exploitation éhontée dont ils se disent victimes de la part des éditeurs de leur temps, tels Michel Lévy ou Louis Hachette, qu'ils accusent de dénaturer le métier d'éditeur en le réduisant à une simple activité commerciale.

Le rôle des éditeurs : entre artistes et marchands

L'une des principales préoccupations des Goncourt réside dans la relation complexe entre l'auteur et l'éditeur. Pour eux, l'éditeur idéal est avant tout un protecteur de l'intégrité artistique de l'œuvre, un rôle qu'ils n'ont que rarement trouvé au sein des maisons d'édition de leur époque. Leur rencontre avec Georges Charpentier, éditeur d'Émile Zola, marque un tournant dans leur perception. Charpentier, qu'ils finiront par accepter dans leur cercle intime, représente l'archétype de l'éditeur artiste, attaché autant à la valeur morale qu'à la valorisation patrimoniale de l'œuvre.

Cependant, les Goncourt n'ont pas toujours eu la même chance dans leurs relations avec d'autres éditeurs. Ils ont, à de nombreuses reprises, déploré la médiocrité de ceux qui osaient intervenir dans le contenu de leurs œuvres. Ce sentiment de frustration est illustré par leurs critiques acerbes à l'encontre de figures comme Édouard Dentu ou Ambroise Firmin-Didot, qu'ils considéraient comme des intrus dans le domaine sacré de la création littéraire.

Les mutations du marché éditorial et la place des livres anciens

Le XIXe siècle est marqué par des bouleversements significatifs dans le monde de l'édition. La révolution industrielle et l'essor de la presse ont transformé les pratiques de lecture et de publication. Le livre, autrefois rare et précieux, devient un objet plus accessible, notamment grâce à l'introduction de collections bon marché, comme la Bibliothèque Michel Lévy. Les Goncourt voient dans cette évolution une dégradation de la littérature, où la qualité cède le pas à la quantité.

C'est dans ce contexte que les livres anciens, véritables trésors du patrimoine littéraire, prennent une valeur particulière. Ils sont les témoins d'une époque où l'édition était encore perçue comme un art, un temps où chaque ouvrage était le fruit d'un travail minutieux de typographie et de reliure, souvent réalisé à la main. Les éditions originales, souvent imprimées en tirages limités, sont aujourd'hui des objets de collection prisés, non seulement pour leur contenu, mais aussi pour leur valeur historique et esthétique.

L'éditeur moderne : une figure ambivalente

Les Goncourt, dans leur Journal, décrivent avec une précision parfois cruelle les éditeurs de leur temps, qu'ils accusent de pervertir l'art de la publication en le soumettant aux lois du marché. Pour eux, un éditeur ne devrait pas être un simple marchand, mais un partenaire respectueux du droit moral de l'auteur. Cette vision les pousse à dénoncer l'évolution du marché éditorial, où la concentration des maisons d'édition et la recherche du profit à tout prix menacent l'intégrité artistique.

Pourtant, malgré leurs critiques, les Goncourt finissent par reconnaître que certains éditeurs, comme Georges Charpentier, parviennent à concilier les exigences commerciales avec un véritable respect de l'œuvre. Charpentier incarne cette figure d'éditeur artiste, capable de soutenir les auteurs tout en leur offrant une visibilité nouvelle, comme en témoigne le succès de La Fille Élisa.

Les frères Goncourt, à travers leurs écrits et leur relation avec le monde de l'édition, ont laissé un témoignage précieux sur les tensions entre création littéraire et impératifs commerciaux au XIXe siècle. Leur défense acharnée du droit moral de l'auteur et leur critique des dérives du marché éditorial résonnent encore aujourd'hui, à une époque où la question de la propriété intellectuelle et de l'intégrité artistique reste d'actualité. Les livres anciens, gardiens de cette époque révolue, continuent de fasciner, non seulement pour leur contenu, mais aussi pour ce qu'ils représentent : le symbole d'une époque où l'art et la littérature étaient des valeurs incontestées.