Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
Les guides de voyage, de simples outils ou des miroirs culturels ?
Les guides de voyage ont émergé comme objets de recherche universitaire à part entière il y a une trentaine d’années seulement. Ce retard dans la reconnaissance de leur valeur académique a conduit à leur exploration par différentes disciplines : les géographes y recherchent des descriptions de territoires anciens, les historiens y trouvent les traces de voyages disparus, les sociologues y voient des modes de voyage obsolètes, et les historiens du livre y observent l'évolution de leur forme. Cependant, les spécialistes de la littérature les ont longtemps ignorés, les considérant hors de leur champ d’étude. Heureusement, cette position a évolué, et de plus en plus d’approches interdisciplinaires émergent, mêlant littérature et autres disciplines pour aborder les guides de voyage sous un angle nouveau et enrichi. Cet article ancre sa réflexion dans l’histoire culturelle et croise histoire du voyage, histoire du livre et histoire de la lecture pour explorer ces productions singulières, à la fois textes et outils.
Une reconnaissance tardive
Les guides de voyage ont souvent été relégués au rang de simples outils pratiques, voire méprisés par la critique littéraire. Roland Barthes, dans son célèbre article sur les Guides bleus, leur reprochait de restreindre la liberté de leurs lecteurs-utilisateurs, affirmant qu’en sélectionnant des morceaux du monde, ils effaçaient la réalité des lieux et des gens. Cependant, ces guides possèdent une utilité indéniable. Qui n'a jamais consulté un guide de voyage pour une adresse, un conseil, ou une idée de visite ? Malgré les critiques, la demande commerciale pour ces ouvrages demeure forte, témoignant de leur pertinence et de leur utilité continue.
Une forme dictée par la fonction
Les guides de voyage ont une forme déterminée par leur finalité première : permettre à une personne de se déplacer dans un pays inconnu sans se perdre, tout en rendant cette expérience agréable et enrichissante. Cette fonction pratique les distingue des œuvres littéraires, expliquant en partie le mépris dont ils sont souvent l'objet. Ils doivent permettre un triple repérage : dans le monde réel, dans les différentes parties du livre, et au sein du texte lui-même. Un guide de voyage est rarement lu de bout en bout, mais consulté de manière fragmentaire pour des informations précises. La structure de ces ouvrages est donc conçue pour une consultation aisée et rapide, avec un fort système de renvois et une mise en page facilitant la lecture discontinue.
De l'utilité pratique à la valeur culturelle
Historiquement, les guides de voyage ont toujours existé sous des formes variées, répondant aux besoins des voyageurs de chaque époque. Du Grand Tour des jeunes aristocrates au tourisme moderne, chaque type de voyage a influencé la forme des guides qui les accompagnaient. Au XVIIIe siècle, les récits de voyage mêlaient narration et conseils pratiques, constituant des « récits-guides » utiles pour suivre des itinéraires précis. Avec l'évolution des pratiques de voyage au XIXe siècle, les guides ont commencé à offrir plus d'informations pratiques et moins de connaissances épistémiques, s'adaptant à un tourisme plus court et plus autonome.
Les guides modernes
Dans les années 1830-1840, les auteurs de guides ont développé une structure qui répondait aux besoins des nouveaux voyageurs que sont les touristes. Les guides de John Murray, Adolphe Joanne et Karl Baedeker, par exemple, se caractérisent par une organisation en trois grandes parties : informations générales, présentation du pays, et index des noms de lieux. Cette structure permet aux voyageurs de planifier leurs itinéraires de manière flexible, en fonction de leurs intérêts et de leur temps disponible.
Texte et images : une combinaison essentielle
Les guides de voyage combinent souvent texte et images pour fournir une expérience plus complète. Les cartes et plans, les vues gravées ou lithographiées, et les panoramas sont des éléments courants. Ces images ne sont pas superflues, mais jouent un rôle crucial dans la compréhension et l'orientation des voyageurs. Elles permettent également de susciter l'envie de voyager et de prescrire des itinéraires culturels.
Un portrait de pays ou de voyageurs ?
Les guides de voyage prétendent offrir un portrait fidèle des pays qu'ils décrivent. Cependant, ils reflètent souvent davantage l'image que les touristes ont des pays visités que la réalité de ceux-ci. Par exemple, les guides Baedeker de la Suisse en 1859 mettent en avant la liberté, les paysages alpins et la vie dans les Alpes, des thèmes chers aux voyageurs romantiques de l'époque. Ces guides, en dépit de leur prétention à l'objectivité, brossent souvent un portrait idéalisé et partiel, influencé par les attentes et les goûts de leurs lecteurs.
Conclusion
Les guides de voyage sont bien plus que de simples outils pratiques ; ils sont des miroirs culturels qui reflètent les pratiques, les attentes et les idéaux des voyageurs de leur temps. En étudiant leur histoire, leur forme et leur contenu, on découvre des informations précieuses sur les évolutions culturelles et sociales liées au voyage. Les guides de voyage méritent ainsi une place de choix dans la recherche universitaire, à la croisée de la littérature, de l'histoire et des sciences sociales.
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