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Les influences de Benjamin Rabier.
L'histoire de l'illustration pour enfants et de la bande dessinée en France ne saurait être complète sans évoquer l'apport essentiel de Benjamin Rabier. Cet artiste, dont la renommée moderne tient en partie à son célèbre dessin de la Vache qui rit, occupe une place bien plus vaste dans le paysage artistique du début du XXe siècle. Illustrateur prolifique, humoriste visuel, Rabier a également joué un rôle de précurseur dans le développement d’un style graphique caractérisé par la « ligne claire ». Ce dernier influencera des générations de dessinateurs, notamment Hergé, qui reconnaîtra l’influence directe de Rabier sur son propre travail.
L’ascension de Benjamin Rabier : un pionnier de l’illustration
Benjamin Rabier, bien que connu aujourd’hui pour ses créations publicitaires, s’est avant tout illustré comme un grand contributeur aux revues pour enfants. Ses dessins humoristiques, publiés dans des magazines comme Le Rire ou L’Imagerie d’Épinal, apparaissaient chaque semaine, offrant des histoires en images qui captivaient un large public. Ses œuvres les plus populaires mettent en scène Gédéon, un canard jaune anthropomorphe, dont les aventures ont marqué l’imaginaire collectif.
Ce qui caractérise le travail de Rabier, c’est la simplicité et la fraîcheur de ses dessins. Hergé lui-même, dans la préface d’une réédition des Fables de La Fontaine illustrées par Rabier, louait la lisibilité et l’énergie des traits de l’artiste. « Ces dessins étaient très simples », écrivait Hergé, mais ils portaient une joie communicative, renforcée par des aplats de couleurs franches, sans dégradés, qui les rendaient immédiatement accessibles.
L’influence de Fliegende Blätter : une source d’inspiration transnationale
L’art de Benjamin Rabier n’est pas né dans un vide culturel. Son style et son humour ont été façonnés par des influences diverses, notamment celles venues d'Allemagne. La revue humoristique Fliegende Blätter, fondée à Munich en 1844, a joué un rôle central dans la formation de nombreux dessinateurs européens, dont Rabier.
Fliegende Blätter a non seulement popularisé un genre essentiel à l’évolution de la bande dessinée – la bande dessinée muette – mais a également proposé une série d’histoires animalières où les animaux, anthropomorphisés, s’adonnaient à des activités humaines. Wilhelm Busch, l’un des contributeurs les plus célèbres de cette revue, a marqué l’histoire avec ses personnages emblématiques, notamment Max und Moritz. Les mécanismes comiques de Busch et ses histoires sans paroles ont voyagé bien au-delà des frontières allemandes, influençant de nombreux artistes, y compris Rabier.
Les emprunts stylistiques de Rabier
Benjamin Rabier a su absorber les leçons de ses homologues allemands, en particulier ceux de Fliegende Blätter. Le genre animalier, avec ses animaux dotés d'expressions humaines, forme une composante essentielle de l'œuvre de Rabier. Ces créatures rient, pleurent, éprouvent des douleurs et des peurs, des émotions que Rabier systématisera dans son propre répertoire graphique.
Il reprendra également le mécanisme comique des histoires de Fliegende Blätter, qui reposent souvent sur l’usage détourné d’objets du quotidien. Rabier s’en inspirera pour créer des gags où l’humour naît de la maladresse des animaux ou de l’usage inattendu de ces objets. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir, dans ses premières œuvres publiées en France, des gags quasi identiques à ceux de ses contemporains allemands. Toutefois, avec le temps, Rabier a su digérer ces influences pour développer un style unique, empreint de légèreté et d’une fraîcheur visuelle qui lui est propre.
Les revues humoristiques : carrefours de l’inspiration artistique
Au XIXe siècle, les revues illustrées telles que Fliegende Blätter en Allemagne, mais aussi Le Charivari, Le Rire et L’Assiette au beurre en France, jouaient un rôle central dans la circulation des idées visuelles à travers l’Europe. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les dessinateurs ne travaillaient pas dans l’isolement de leurs frontières nationales. Ces revues traversaient les pays, étaient traduites, adaptées et influençaient les artistes de différentes cultures.
C’est ainsi que de jeunes dessinateurs, y compris Rabier, puisaient dans ces publications des idées pour leurs propres créations. Dans ces pages, ils découvraient de nouveaux styles d’humour, de nouvelles manières de structurer leurs compositions graphiques, et les derniers gags en vogue. Certains de ces jeunes talents allaient jusqu’à plagier ces trouvailles, tandis que d’autres, comme Rabier, s’en inspiraient pour créer des œuvres novatrices et distinctives.
Un précurseur de la bande dessinée moderne
Rabier se distingue également comme l’un des premiers illustrateurs à adopter une approche que l’on reconnaît aujourd’hui comme une des caractéristiques de la bande dessinée moderne. Sa « ligne claire », marquée par des contours nets et un usage précis de la couleur, a posé les fondations d’un style visuel que Hergé perfectionnera plus tard. Cette lisibilité, cette rigueur dans le dessin, conjuguée à un humour visuel accessible, a contribué à la popularité durable de Rabier, bien au-delà des frontières françaises.
Benjamin Rabier, un artiste ancré dans son époque
L’importance de Benjamin Rabier dans l’histoire de l’illustration et de la bande dessinée réside dans sa capacité à synthétiser des influences diverses, tout en créant un style distinctif. Si ses emprunts aux publications allemandes comme Fliegende Blätter sont évidents, Rabier a su les transcender pour proposer des œuvres qui résonnent encore aujourd’hui. Son canard Gédéon, ses publicités pour la Vache qui rit, et ses illustrations des fables restent des exemples d’une approche innovante du dessin humoristique.
Dans une époque où les frontières entre les écoles artistiques nationales étaient perméables, Rabier incarne parfaitement cet esprit de dialogue visuel qui a marqué la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. En cela, il demeure une figure incontournable pour comprendre l’évolution de la bande dessinée et de l’illustration pour enfants. Les livres anciens, comme ceux qu'il a illustrés, demeurent des témoins précieux de cet âge d'or de l'illustration, des reliques d'une époque où les artistes puisaient dans des répertoires communs pour réinventer sans cesse les formes de l'humour graphique.
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