Les produits dérivés dans l'univers de la bande dessinée.

Le terme « produit dérivé » évoque souvent, à tort, une perception négative. Dans l'imaginaire collectif, ces objets semblent uniquement motivés par des intérêts mercantiles, créés pour exploiter la popularité d'une œuvre initiale, souvent sous forme de personnages célèbres. Pourtant, l'histoire des produits dérivés, notamment dans le domaine de la bande dessinée, est bien plus complexe et fascinante. Elle révèle des dynamiques profondes entre la création artistique et l'économie de marché, illustrant comment la bande dessinée, elle-même perçue comme un produit hybride entre l’art et le commerce, a donné naissance à une multitude d’objets. Des chaussettes Mickey aux cartes Pokémon, des posters de super-héros aux biscuits à l’effigie de Titeuf, ces objets prolongent l'existence des personnages dans la vie quotidienne des consommateurs.

La bande dessinée : un mariage entre l'art et le commerce

Le concept de « produit dérivé » n'est pas si éloigné de la nature même de la bande dessinée, comme le souligne Art Spiegelman, auteur de Maus, lorsqu'il la qualifie d’« enfant bâtard de l’art et du commerce ». Depuis ses débuts, la bande dessinée a toujours été un médium où se mêlent créativité artistique et exploitation commerciale. Ainsi, l'apparition de produits dérivés tels que les verres à moutarde représentant Astérix ou encore les films mettant en scène des super-héros comme Spiderman produits par Sony sont des exemples de cette relation complexe.

Au-delà de leur simple existence commerciale, ces objets témoignent de la popularité des personnages et de l’impact qu’ils ont sur la culture populaire. D'un point de vue économique, l’exploitation des droits dérivés, ou « licensing », est devenue une pratique incontournable. Elle permet aux entreprises de capitaliser sur la renommée de personnages pour vendre des produits sur des supports variés, que ce soit des jouets, des vêtements, ou même des articles alimentaires.

Un phénomène historique : l'exemple de Bécassine

Contrairement à l’idée que les produits dérivés sont une invention moderne, il s’agit en réalité d’un phénomène ancien. Un des exemples les plus frappants est celui de Bécassine, personnage emblématique du début du XXe siècle. Créée en 1905 pour combler une page blanche de la revue La Semaine de Suzette, Bécassine devient rapidement une icône pour les jeunes lectrices. Dès 1918, des poupées à son effigie sont commercialisées, et des années plus tard, elle est représentée sur divers objets publicitaires tels que des buvards, des affiches et même des réclames pour la télévision dans les années 1950.

Cette prolifération d’objets dérivés a sans doute contribué à la longévité du personnage. Alors que la popularité de ses aventures en bande dessinée décline avec le temps, Bécassine demeure dans l’imaginaire collectif grâce aux multiples objets à son effigie. De ce fait, les produits dérivés participent activement à la survie culturelle des héros de bande dessinée, dépassant souvent en popularité l’œuvre originale elle-même.

L'importance des produits dérivés dans l'industrie de la bande dessinée américaine

Outre-Atlantique, le lien entre bande dessinée et produits dérivés a également été fort dès les premières décennies du XXe siècle. Richard Felton Outcault, créateur du Yellow Kid en 1895, a vu son personnage utilisé non seulement pour vendre des journaux, mais également pour promouvoir des produits variés comme des chewing-gums ou des cigares. Plus tard, son personnage Buster Brown deviendra la mascotte de plus de deux cents entreprises, notamment la Brown Shoes Company, marquant ainsi un tournant dans l’exploitation commerciale des personnages de bande dessinée.

Ce phénomène s’est amplifié avec l’apparition des super-héros, notamment Superman, qui a été l’un des premiers à incarner cette nouvelle ère du merchandising. Dès ses débuts, l’image de Superman est utilisée dans des publicités, des jouets, et même des produits alimentaires, renforçant la notoriété du personnage bien au-delà des pages des comics.

Snoopy et Peanuts : un cas d’école du succès des produits dérivés

Un autre exemple marquant est celui de Peanuts de Charles M. Schulz. Entre 1950 et 2000, Peanuts devient une véritable institution, non seulement grâce à ses bandes dessinées, mais aussi par l’exploitation massive de ses personnages sous forme de produits dérivés. Charlie Brown, Snoopy et les autres sont déclinés en jouets, vêtements, papeterie, et bien plus encore. Cette exploitation a pris une telle ampleur que Schulz lui-même a dû intervenir pour avoir un droit de regard sur l’utilisation de ses personnages. En 2016, les produits dérivés de Peanuts ont généré 30 millions de dollars, classant Schulz parmi les auteurs décédés les plus riches du monde.

Tintin : un trésor économique

Le cas de Tintin illustre parfaitement l’importance économique des produits dérivés. Gérés par la société Moulinsart, les droits de Tintin génèrent des millions d’euros chaque année, bien après la publication du dernier album. Tintin est ainsi devenu un véritable empire économique, où les produits dérivés surpassent largement les ventes des albums originaux. Ce phénomène est d’autant plus frappant lorsque l’on sait que Hergé, le créateur de Tintin, avait lui-même un rapport ambivalent à l’exploitation commerciale de ses personnages.

Les produits dérivés comme vecteurs de visibilité et de pérennité

Les produits dérivés jouent un rôle crucial dans la visibilité et la pérennité des personnages de bande dessinée. Dans un monde saturé d’images, ces objets permettent de maintenir les personnages dans l’imaginaire collectif, même lorsque leurs aventures originales ne sont plus largement lues. C’est le cas des Schtroumpfs, dont la popularité a été ravivée par une série animée commandée par Fred Silverman, patron de NBC, après que sa fille ait découvert les personnages grâce à un produit dérivé.

De même, la série Yu-Gi-Oh! de Kazuki Takahashi montre comment des objets dérivés peuvent devenir, dans certains cas, plus populaires que l’œuvre originale. Les cartes à collectionner, au cœur de l’intrigue du manga, ont conquis un large public, notamment dans les cours d’école, et ont permis à la série de prospérer bien au-delà des pages du manga.

Une complexité à appréhender

L'histoire des produits dérivés dans le domaine de la bande dessinée est donc bien plus ancienne et complexe qu'on pourrait le croire. Ces objets ne sont pas de simples outils de promotion ou de consommation. Ils participent activement à la diffusion des personnages et à la pérennité des univers fictionnels. Au-delà de leur fonction marchande, ils permettent de prolonger l'existence d'œuvres culturelles et de renforcer le lien entre les personnages et leur public. À travers les différents exemples historiques et contemporains, il apparaît que les produits dérivés, loin de dénaturer l’œuvre originale, contribuent à la maintenir vivante et à l’inscrire durablement dans la culture populaire.