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L’héraldique, une science oubliée, mais essentielle pour l’étude du livre ancien.
L’héraldique, une science souvent méconnue de nos jours, mérite pourtant une place de choix dans les études historiques et artistiques. En France, bien que son influence ait considérablement diminué, elle trouve encore sa place dans certaines institutions prestigieuses comme l’École du Louvre, où elle est proposée sous forme de cours optionnel. Loin d'être anecdotique, ce cours s’avère crucial pour ceux qui souhaitent approfondir la compréhension des œuvres d’art du passé. Les objets historiques, qu’il s’agisse de meubles, de vitraux, d’architectures, de pièces d’orfèvrerie ou de peintures, contiennent souvent des armoiries ou des symboles héraldiques qui révèlent l’identité de leurs propriétaires ou mécènes. De même, le bibliophile, à travers l’étude des reliures, des ex-libris, des frontispices et des pages de titre, est fréquemment confronté à l’héraldique.
Les armoiries à travers les âges
Depuis le XIIᵉ siècle, les armoiries, ou "armes", sont habituellement représentées sur un écu, le bouclier utilisé par les combattants pour se protéger lors des batailles. À l'origine, ces symboles distinctifs permettaient d’identifier rapidement les guerriers, notamment lors des affrontements ou des tournois, où la confusion régnait souvent. L’écu armorié, symbole de la famille ou de la lignée, portait des couleurs, des figures et des motifs codifiés qui permettaient de distinguer rapidement l’allié de l’ennemi. Il est communément admis que c’est dans le cadre des tournois que les armoiries se sont progressivement fixées et standardisées.
Au fil du temps, l’usage des armoiries s’est étendu au-delà des champs de bataille. De simple outil de reconnaissance, l’écu armorié est devenu un objet protocolaire et décoratif. Les armoiries, alors exhibées avec fierté, ornaient les palais, les châteaux, et même les vêtements des nobles. Le mot "pavois", qui désigne une grande pièce d’armoiries déployée en public, illustre bien cette évolution, associant l’écu à une manifestation de prestige. Des exemples de ces pavois armoriés sont encore visibles aujourd'hui dans des musées comme celui de l’hôtel de Cluny à Paris, qui conserve des pièces exceptionnelles de cette époque.
Les armoiries étaient apposées sur divers supports tels que le bois (par exemple, sur des buffets), la pierre (comme les pierres de fondation), le métal (comme sur les plaques de cheminée en fonte) ou encore sur les vitraux. Chacun de ces matériaux offrait un support idéal pour exhiber la puissance et l’héritage d’une lignée familiale ou d’une institution.
La richesse de la forme des écus
L’étude des écus révèle une richesse et une diversité étonnantes selon les périodes, les pays et même les genres. La forme de l’écu, par exemple, varie largement. Si l’écu français est souvent terminé en pointe, d'autres formes sont apparues au cours de l’histoire. Les écus échancrés, typiquement germaniques, permettaient aux combattants de tenir la lance lors des tournois.
Les écus féminins, eux, adoptent généralement la forme d’un losange. Ce choix n’est pas anodin, car il marque une distinction symbolique entre les genres. Les filles de Louis XV, par exemple, faisaient relier leurs livres avec des armoiries en forme de losange, ce qui ajoutait une touche de raffinement à leurs collections. Quant aux femmes mariées, elles utilisaient souvent des écus accolés, c’est-à-dire combinant leurs propres armoiries avec celles de leur époux, illustrant ainsi l’union des deux familles. Fait intéressant, certains hommes bibliophiles ont aussi adopté cette pratique. Jacques Auguste de Thou, érudit et grand collectionneur de livres au XVIᵉ siècle, apposait sur ses reliures les armoiries de ses deux épouses successives, un geste symbolique qui reflétait l’importance de la lignée et de la transmission.
L’art du blason
L'héraldique ne se limite pas à la représentation graphique des armoiries ; elle comprend également l’art du blasonnement, c’est-à-dire la description précise des armoiries. En termes stricts, le blason est un langage codifié qui permet de décrire de manière exacte les couleurs, les motifs et les divisions d’un écu. Le terme "blason", bien que parfois utilisé de manière incorrecte comme synonyme d’armoiries, désigne donc en réalité cet exercice de description formelle. Par exemple, lorsqu’on lit ou décrit des armoiries, on "blasonne".
L’utilisation du mot "blason" s’est également retrouvée dans les écrits littéraires des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, notamment dans des œuvres telles que Le blason du corps féminin, où le terme est utilisé pour décrire poétiquement les différentes parties du corps humain. Cette évolution sémantique témoigne de l’influence de l’héraldique sur la culture et la langue française. Même l’argot parisien s’est approprié le mot "blase" pour désigner le nom de famille, perpétuant ainsi, de manière informelle, l’héritage de cette science ancienne.
Les composantes de l’écu
L’un des aspects les plus fascinants de l’héraldique est l’organisation rigoureuse des écus. Par convention, l’écu est divisé en différentes parties, chacune ayant une signification précise. La surface de l’écu, appelée "champ", est l’espace où sont disposés les différents motifs et figures héraldiques. La référence dans l’espace est celle du combattant portant l’écu : ainsi, la partie droite pour l’observateur correspond à la gauche du porteur, et est appelée "dextre", tandis que la gauche pour l’observateur est appelée "senestre". Le sommet de l’écu est désigné par le terme "chef", tandis que sa base est la "pointe". Le centre, parfois appelé "abîme" ou "cœur", constitue la partie centrale de l’écu, et les coins sont appelés "cantons".
Cette organisation spatiale de l’écu permet une description claire et précise des armoiries, facilitant ainsi leur lecture et leur identification. Les nuances entre les différentes divisions et parties de l’écu reflètent la complexité et la profondeur de la science héraldique, qui, malgré sa relative désuétude, continue d’offrir un cadre essentiel à l’étude de l’histoire, des familles et des œuvres d’art.
L’héraldique et le livre ancien
L’héraldique n’est pas seulement un outil d’identification pour les œuvres d’art, elle joue également un rôle fondamental dans l’univers du livre ancien. Les reliures aux armes, par exemple, permettent de retracer l’histoire de possession d’un ouvrage, en identifiant les différentes familles nobles ou grands collectionneurs à travers les siècles. Certains manuscrits anciens, comme les livres de raison, contiennent des armoiries qui témoignent des alliances familiales et des événements marquants de la vie des propriétaires. Les gravures sur cuivre représentant des portraits dans des ouvrages du XVIIIᵉ siècle sont souvent accompagnées d’armoiries, renforçant ainsi l’identité du personnage représenté.
Ainsi, loin d’être une science obsolète, l’héraldique reste un outil incontournable pour ceux qui s’intéressent à l’histoire, à l’art et à la bibliophilie. Les armoiries, qu’elles soient gravées sur des écus de chevaliers ou reliées aux livres anciens, sont des témoins silencieux du passé, porteurs d’un langage riche et complexe, qui ne demande qu’à être déchiffré. L’étude de l’héraldique ouvre une porte sur un monde oublié, où chaque motif, chaque couleur, raconte une histoire d’alliance, de guerre, ou de fierté familiale. Les livres anciens, en particulier, révèlent une intimité unique avec cette science, rappelant que chaque possession, chaque ouvrage, était autrefois marqué du sceau de son propriétaire, comme un symbole de pérennité et de transmission.
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