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L’illusion des gants blancs : repenser la manipulation des ouvrages anciens.
L'usage des gants blancs pour la manipulation des ouvrages anciens est un sujet qui a traversé les siècles, oscillant entre traditions, croyances et études scientifiques récentes. Sous l'égide de Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, les visiteurs ne pouvaient toucher à un livre sans enfiler des gants de coton immaculé. Cet usage visait alors à préserver les précieux volumes de la saleté et de la transpiration. Il s'étendit bien au-delà de son époque, et on le retrouvait chez des collectionneurs comme Rougemont de Lowemberg, dont la bibliothèque renfermait des reliures somptueuses, parfois ornées de tranches peintes.
La symbolique du gant blanc en bibliophilie ne s'est pas limitée à son rôle pratique ; il est devenu l'emblème d'une manipulation respectueuse, d'une distance presque sacrée entre le lecteur et l'objet. Mais à mesure que les études scientifiques se sont multipliées, ce rituel a été remis en question. Les chercheurs du domaine de la préservation des documents anciens, comme ceux de la Bibliothèque nationale de France (BnF), ont fini par démontrer que le port de gants, loin de protéger les ouvrages, peut augmenter les risques de détérioration mécanique.
Le premier risque identifié est celui de la manipulation même. Les ouvrages anciens sont souvent fragiles, et la perte de sensibilité que causent les gants, qu'ils soient en coton ou en latex, empêche une manipulation fine des pages. Tourner une feuille peut devenir un acte périlleux, susceptible de causer des déchirures ou d'endommager des coutures déjà affaiblies par le temps. Une main nue et propre permet de sentir la résistance du papier, de la reliure, et d’ajuster ses gestes en conséquence.
Un second danger réside dans la contamination croisée. Les gants en coton, par exemple, captent facilement la poussière, qui peut ensuite se transférer d'un ouvrage à un autre. La poussière, souvent invisible à l'œil nu, peut contenir des éléments contaminés qui, dans des conditions propices, peuvent évoluer en moisissures. Ce risque, bien que faible dans les institutions telles que la BnF, où les conditions d’hygrométrie et de nettoyage sont strictement contrôlées, devient nul lorsque l'on opte pour une simple règle d'hygiène : se laver les mains avant de consulter les ouvrages.
Les gants ne trouvent leur justification que dans des cas très spécifiques. Certaines archives, notamment celles contenant des matériaux toxiques ou difficiles à décontaminer, exigent une protection pour le lecteur, et non pour le livre. On pense par exemple aux documents scellés au plomb ou aux reliures contenant des éléments métalliques. Ici, le port de gants est conseillé pour protéger la peau de l’irritation potentielle causée par la poussière ancienne.
Si l’usage des gants blancs perdure encore aujourd’hui dans certaines bibliothèques ou archives, il est clair que ce n’est plus une norme universelle. La prise de conscience des risques associés a entraîné une modification des pratiques. Les institutions comme la Bibliothèque John Rylands à l’université de Manchester ou encore la Réserve des livres rares de la BnF incitent désormais leurs lecteurs à se laver soigneusement les mains et à manipuler les livres à mains nues, une pratique bien plus sûre.
Même les reliures, parfois considérées comme plus résistantes que le papier, ne nécessitent pas le port systématique de gants. Il est vrai que ces derniers protègent contre les griffures causées par des ongles, mais ils ne remplacent en rien la dextérité et la précision offertes par des mains nues. De plus, certaines reliures, notamment celles décorées de métaux précieux ou semi-précieux, comme les orfèvreries, doivent être manipulées avec précaution pour éviter tout contact direct avec les parties métalliques.
L’idée que les gants blancs symbolisent un soin extrême dans la manipulation des livres anciens a probablement été renforcée par les représentations dans les médias. Pourtant, les spécialistes, tels que Jean-Marc Chatelain, directeur de la Réserve des livres rares de la BnF, déconseillent vivement cette pratique. Il apparaît donc que la véritable méthode de préservation passe par une attention accrue aux gestes, une manipulation minutieuse et des mains propres et sèches.
Ainsi, alors que les débats se poursuivent dans les cercles de bibliophiles et de conservateurs, une conclusion s’impose de plus en plus nettement : la protection des livres anciens repose sur le respect des matériaux, et non sur des pratiques héritées du passé. Que l’on feuillette un incunable ou que l’on consulte un manuscrit médiéval, ce sont les gestes délicats, l’attention aux détails, et une hygiène rigoureuse qui garantiront la préservation de ces trésors pour les générations à venir.
La question reste ouverte : pour quels ouvrages faudrait-il encore enfiler des gants ? Quelques exceptions persistent, mais elles demeurent rares et doivent être motivées par des raisons spécifiques, et non par des traditions dépassées.
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