C’est une véritable œuvre d’art, un joyau de papier aussi rare que somptueux, qui s’apprête à prendre la lumière :...
Maurice Tillieux : un destin façonné par la guerre et l’exil.
Maurice Tillieux, célèbre créateur de bandes dessinées, est surtout connu pour son travail sur des séries telles que Gil Jourdan et César et Ernestine. Ce dessinateur et scénariste de génie, né à Huy en Belgique en 1921, est l'une des figures marquantes de la bande dessinée franco-belge. Pourtant, bien avant de marquer le 9e art de son empreinte, il vécut une expérience qui influença sans doute son œuvre et son regard sur le monde : l’exil forcé lors de la Seconde Guerre mondiale. À l’âge de 19 ans, Tillieux quitta Bruxelles pour fuir l'occupation nazie et entama un périple à travers la France qui le conduira jusqu’en Bretagne, et plus précisément à Guémené-sur-Scorff, une petite commune du Morbihan.
La fuite de Bruxelles : un parcours semé d'embûches
En 1940, alors que les troupes allemandes déferlent sur la Belgique, Maurice Tillieux prend une décision audacieuse. Aspirant à devenir officier de la marine marchande, il quitte Bruxelles à bicyclette pour rejoindre sa tante au Portugal. Son objectif est de s’embarquer pour les États-Unis, où il espère réaliser son rêve de traverser les océans. Cependant, la guerre va profondément bouleverser ses plans. Après avoir parcouru des centaines de kilomètres à vélo jusqu’à La Rochelle, il est contraint de rebrousser chemin. Les attaques aériennes allemandes, visant les navires s’éloignant des côtes, rendent toute tentative de départ impossible.
Le jeune homme, loin de se laisser abattre, remonte alors en selle et reprend son périple. Pédalant à travers une France dévastée par les bombardements et encombrée de réfugiés, il cherche une nouvelle destination où trouver refuge. C’est ainsi qu’il arrive en Bretagne, où il s'installe à Guémené-sur-Scorff.
Un séjour breton marqué par les rencontres et les métiers divers
À Guémené-sur-Scorff, Maurice Tillieux passe plusieurs mois, exerçant une multitude de métiers pour subvenir à ses besoins. Parmi les personnes qui marquèrent son séjour, on trouve Eugénie Gourlet, surnommée Ninie. Couturière spécialisée dans les costumes traditionnels bretons, Ninie fut une figure locale emblématique. Décédée en 2016, elle avait partagé ses souvenirs de cette époque, permettant ainsi aux biographes et historiens de mieux comprendre la vie de Tillieux durant cette période trouble.
Ce long séjour dans le Morbihan fut pour Tillieux une étape clé de son développement personnel. Bien que n'ayant encore aucune certitude sur son avenir professionnel, le jeune homme se forgea un caractère, se confrontant à la dure réalité de la guerre tout en cultivant des amitiés durables. Il semble que cette expérience d'exil et de survie en temps de guerre ait profondément influencé son œuvre future, notamment dans la création de ses personnages de fiction, souvent confrontés à des situations périlleuses et complexes.
L’influence de Guémené-sur-Scorff sur son œuvre
Maurice Tillieux, devenu célèbre grâce à des séries de bande dessinée comme Gil Jourdan et César et Ernestine, avait prévu de situer l’une des aventures de Gil Jourdan à Guémené-sur-Scorff. Ce projet, malheureusement, ne verra jamais le jour. Tillieux mourut tragiquement dans un accident de voiture en janvier 1978, à l’âge de 57 ans, avant d'avoir pu concrétiser cette idée. Pourtant, cette petite commune bretonne resta chère à son cœur, et il est fascinant d'imaginer comment il aurait intégré cette région, avec ses paysages pittoresques et ses traditions, dans son univers graphique.
Une carrière qui débute dans le roman policier
Il est intéressant de noter que Maurice Tillieux ne s’est pas immédiatement lancé dans la bande dessinée. Avant de devenir le grand scénariste que l’on connaît, il fit ses premiers pas en tant qu'auteur de romans policiers. Cette incursion dans la littérature criminelle permit sans doute à Tillieux de développer son sens du suspense et des intrigues bien ficelées, caractéristiques que l’on retrouvera plus tard dans ses bandes dessinées. Son goût pour les atmosphères sombres et les enquêtes policières se manifeste notamment dans Gil Jourdan, où les enquêtes du détective éponyme sont souvent teintées d’humour noir et de tension dramatique.
L’importance des témoignages dans la reconstitution de cette époque
Les auteurs de Maurice Tillieux 1940, une bande dessinée qui retrace cet épisode marquant de la vie du dessinateur, ont entrepris un travail de recherche minutieux pour restituer avec fidélité cette période. Grâce aux témoignages de personnes ayant connu Tillieux à l’époque, comme celui d’Eugénie Gourlet, ils ont pu reconstituer le quotidien du jeune homme en exil. Ce travail de mémoire est essentiel pour comprendre les circonstances qui ont façonné l’homme et l’artiste qu’il est devenu. Les anecdotes, les souvenirs, et les récits des voisins et collègues de Tillieux donnent une dimension humaine à cette période historique, montrant comment un jeune homme en pleine transition vers l’âge adulte dut faire face à des événements tragiques et bouleversants.
Un artiste profondément marqué par son temps
Le parcours de Maurice Tillieux, de Bruxelles à Guémené-sur-Scorff, constitue un épisode marquant de sa vie, une épreuve personnelle dans le contexte d’une guerre mondiale qui allait changer le visage de l’Europe. Cette traversée, tant géographique qu'existentielle, contribua sans doute à forger la sensibilité et l’imagination de celui qui deviendrait l’un des plus grands auteurs de bande dessinée franco-belge.
Si ses projets en Bretagne ne virent jamais le jour, son séjour à Guémené-sur-Scorff restera à jamais lié à sa mémoire. Le destin tragique de cet auteur talentueux, disparu prématurément, laisse cependant entrevoir tout ce qu'il aurait encore pu accomplir. Aujourd'hui, ses œuvres continuent d'influencer de nouvelles générations de lecteurs, et son passage en Bretagne demeure un chapitre important dans la compréhension de son parcours artistique et personnel. Les récits et témoignages de ceux qui l’ont côtoyé permettent de garder vivante la mémoire de cet homme qui, dans un contexte de guerre, a su trouver en lui la force de continuer à avancer, aussi bien dans la vie que dans l’art.
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