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Michel Le Peletier de Souzy : une vie dédiée aux livres et au savoir.
Au carrefour des grandes carrières politiques et des passions intellectuelles, Michel Le Peletier de Souzy (1640-1725) incarne une figure emblématique de l’amour des livres et du savoir à l’époque moderne. Homme d’État accompli et érudit raffiné, il a non seulement marqué son temps par son engagement dans les affaires publiques, mais aussi par l’impressionnante bibliothèque qu’il constitua, symbole de son insatiable quête de connaissances.
Une carrière politique et intellectuelle au service du royaume
Né à Paris le 12 juillet 1640, Michel Le Peletier appartenait à une famille originaire du Mans, célèbre dans la magistrature. Après des débuts prometteurs comme avocat du Roi au Châtelet en 1661, il gravit les échelons du pouvoir : conseiller au Parlement, intendant en province, conseiller d’État et, enfin, intendant des finances. Mais derrière ces titres prestigieux se cachait un homme habité par une profonde passion pour la culture et la littérature.
Malgré ses lourdes responsabilités, Michel Le Peletier demeura toute sa vie un lecteur insatiable et un collectionneur averti. Sa carrière, notamment en tant que directeur général des fortifications et membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, lui permit d’acquérir une grande quantité de livres, manuscrits et objets d’art, qu’il ajouta à une bibliothèque déjà imposante.
Une bibliothèque exceptionnelle au cœur de l’érudition
La bibliothèque de Michel Le Peletier de Souzy, augmentée par son fils Michel-Robert Le Peletier des Forts, devint l’une des collections privées les plus remarquables de son époque. Elle illustre non seulement les goûts de son propriétaire, mais également les priorités intellectuelles de l’élite française du XVIIe siècle.
L’inventaire de cette collection, dressé après sa mort et publié sous le titre Catalogue des livres de feu M. Le Peletier des Forts, ministre d’État, etc. (Paris, 1741), révèle une richesse et une diversité impressionnantes. La vente de cette bibliothèque, qui commença le 10 avril 1741 au couvent des Grands Augustins, proposait pas moins de 2 720 lots, répartis selon les grands domaines du savoir de l’époque :
Histoire : 1 214 lots, soit près de la moitié de la collection, montrant l’importance que Le Peletier attachait à la compréhension des événements passés. Ces ouvrages incluaient probablement des classiques de l’historiographie, mais aussi des livres consacrés à l’histoire contemporaine de son époque.
Belles-lettres : 515 lots, représentant son goût pour la littérature et la philosophie. Le Peletier était un lecteur assidu des auteurs latins comme Cicéron, Horace et Tacite, qu’il citait fréquemment dans leur langue originale. Il est probable que ces ouvrages comprenaient aussi des classiques français et italiens, témoins de sa maîtrise des langues et de son ouverture culturelle.
Jurisprudence : 412 lots, une section essentielle pour cet homme issu de la magistrature. Ces livres reflètent à la fois son métier et son rôle dans la vie politique et administrative du royaume.
Sciences et arts : 313 lots, montrant un intérêt pour des disciplines variées, à une époque où les Lumières commençaient à éclore. Cette section pourrait inclure des ouvrages sur les fortifications, l’architecture ou encore l’ingénierie, domaines qu’il supervisait dans ses fonctions.
Théologie : 257 lots, témoins de son intérêt pour la religion et la spiritualité, domaines essentiels dans une société encore largement guidée par les valeurs chrétiennes.
Une vente historique et symbolique
La dispersion de cette collection en 1741 fut un événement marquant pour les bibliophiles de l’époque. À une époque où il n’existait pas encore d’espaces dédiés aux ventes publiques comme l’hôtel Drouot, cette vente eut lieu au couvent des Grands Augustins, un lieu central pour ce type d’activité.
Le catalogue, imprimé par Jacques Barois, reste un témoignage précieux de l’ampleur et de la diversité des goûts de Michel Le Peletier. Accompagné d’une table alphabétique des auteurs, il témoigne également de l’organisation rigoureuse de cette bibliothèque, qui reflète l’esprit méthodique et érudit de son propriétaire.
L’influence des livres sur un homme d’État
Pour Michel Le Peletier, les livres étaient bien plus que des objets de collection : ils représentaient une source inépuisable d’inspiration, de réflexion et d’érudition. Cicéron, Horace et Tacite l’accompagnaient dans ses voyages, et il en citait les passages marquants avec une précision qui fascinait ses contemporains. Cette familiarité avec les auteurs classiques contribua non seulement à nourrir son esprit, mais également à forger son éloquence et sa finesse intellectuelle, des qualités essentielles dans ses fonctions publiques.
Son érudition, qui s’étendait à plusieurs langues (il maîtrisait l’italien et l’espagnol), lui valut d’être reconnu comme un véritable homme de lettres. Jacques de Tourreil, académicien et juriste, le qualifiait de « homo limatissimi judicii », un hommage à son jugement raffiné et à son goût éclairé.
Un héritage littéraire et culturel
L’héritage intellectuel de Michel Le Peletier de Souzy ne s’arrêta pas à sa mort. Son fils, Michel-Robert Le Peletier des Forts, poursuivit son œuvre en enrichissant la collection familiale. Cependant, cette tradition de mécénat et de bibliophilie fut ternie par certains descendants, notamment Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, dont les actes révolutionnaires entachèrent le nom de la famille.
Aujourd’hui, l’histoire de cette bibliothèque exceptionnelle nous rappelle l’importance des livres dans la vie des hommes d’État et des intellectuels de l’Ancien Régime. À travers ces volumes, c’est tout un univers de connaissances, de curiosités et de passions qui s’ouvre à nous, témoignant de l’esprit d’une époque où l’amour des lettres et des arts était un pilier de l’identité sociale et culturelle.
Michel Le Peletier de Souzy reste une figure exemplaire d’une époque où les livres représentaient bien plus qu’un simple loisir : ils étaient le socle de l’éducation, de l’influence et du pouvoir. Sa bibliothèque, véritable miroir de ses intérêts variés et de son esprit éclairé, incarne à elle seule une époque où savoir et pouvoir allaient de pair. Par sa vie et son œuvre, Michel Le Peletier a inscrit son nom non seulement dans l’histoire de la magistrature, mais aussi dans celle de la bibliophilie et de l’érudition française.
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