Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
Pourquoi Daredevil est-il l’un des héros les plus fascinants de Marvel ?
La fascination pour Daredevil ne réside pas dans ses pouvoirs extraordinaires, contrairement à ce que l’on pourrait croire en comparant ses capacités à celles des mutants des X-Men ou même de Spider-Man. Daredevil est essentiellement un athlète exceptionnel, privé de la vue, mais doté d'une hypersensibilité de ses autres sens ainsi que d’un sixième sens lui permettant de percevoir son environnement tel un radar.
Il est fréquent de rapprocher Daredevil de Batman : orphelin, mû par un sens aigu de la justice, plongé dans des situations sombres, et dépourvu de pouvoirs surnaturels. Cette comparaison est en partie due à Frank Miller, dont les récits ont influencé de manière décisive les deux personnages. Pourtant, si cette approche peut sembler juste, elle reste superficielle et n’explique pas toute la profondeur de Daredevil.
La véritable singularité de ce personnage se trouve dans sa genèse. Stan Lee, créateur emblématique de Marvel, a révolutionné l'univers des super-héros en leur conférant une vie quotidienne bien ancrée dans la réalité. Ce choix narratif permet de renforcer la dualité du super-héros, dont les dilemmes personnels se reflètent dans sa double identité. Ce mécanisme narrative crée une proximité entre le lecteur et le héros, ce dernier incarnant à la fois les espoirs et les rêves du lecteur.
Mais Stan Lee ne s’est pas arrêté là. Il a également compris que les super-héros pouvaient représenter une nouvelle forme de mythologie pour un public moderne, rationnel et en quête de figures archétypales. Tout comme les dieux de la mythologie grecque ou scandinave, ces héros incarnent des valeurs universelles. C’est ainsi que Marvel a introduit des personnages comme Hercule ou Thor, puisant directement dans les mythes anciens.
Daredevil, pour sa part, s’inspire d’une autre source symbolique : l’allégorie de la justice. Cette figure, représentée par une femme aveugle tenant une balance, trône souvent au sommet des palais de justice. En faisant de Daredevil un homme aveugle, Stan Lee a remplacé la balance par des acrobaties urbaines, symbolisant ainsi une justice de proximité, plus directe et incarnée.
La cécité de Matt Murdock, alias Daredevil, n’est pas un simple handicap. Elle constitue un paradoxe fascinant : en tentant de sauver un aveugle, il devient lui-même aveugle, mais développe des capacités compensatoires qui le placent au-delà de la simple perception visuelle. En parallèle, Murdock est avocat dans sa vie civile, un métier où la justice se doit d’être impartiale et, par essence, aveugle.
Daredevil présente également un paradoxe unique dans l’univers des comics : il évolue dans un médium visuel qu’il est incapable de percevoir. Cette ironie est accentuée par le travail d’Ann Nocenti, scénariste qui a exploré ce lien complexe entre Matt Murdock et les images. Le héros devient ainsi une figure allégorique de la justice, car il ne peut voir les représentations visuelles, qui sont souvent associées à la tentation, à la peur et à la manipulation.
Frank Miller, quant à lui, s’est concentré sur le passé de Daredevil pour expliquer sa personnalité divisée et sa vision du monde, souvent sombre et tourmentée. Il a également développé la relation complexe entre Daredevil et son pire ennemi, Bullseye, un tueur doté d’une précision visuelle imparable. Dans cette dynamique, Daredevil, l’aveugle, affronte le « super-regardeur », symbolisant ainsi une lutte entre la perception visuelle et la perception sensorielle.
L’épisode « Errances », écrit par Ann Nocenti, va encore plus loin en réactualisant le mythe grec de Diboutade, considéré comme le fondateur de la peinture. Dans ce récit, Murdock, devenu amnésique, rencontre une jeune fille qui tente de tracer le contour de son ombre sur un mur, comme Diboutade l’avait fait pour son fiancé. Ce parallèle montre la manière dont Daredevil interagit avec le monde de manière tactile, sans la médiation de l’image.
Daredevil ne peut pas lire une bande dessinée classique, car les images et les typographies diversifiées lui sont inaccessibles. Son hypersensibilité lui permet cependant de « lire » les caractères typographiques en relief, mais pour lui, une bande dessinée muette reste incompréhensible. Ce paradoxe est à la fois une limite et une richesse pour le personnage, qui devient ainsi une métaphore de notre relation complexe aux images dans la civilisation moderne.
Pour les passionnés, plusieurs ouvrages et dossiers approfondissent la richesse de ce personnage : les numéros de S.W.O.F. et de Scarce sont des références incontournables, tout comme le dossier consacré à Daredevil dans Spécial Strange n°100. Aujourd’hui encore, Daredevil continue d’être traduit et publié en français, notamment dans l’excellent mensuel Marvel.
En fin de compte, Daredevil incarne un véritable mythe moderne, un héros complexe dont les paradoxes et les contradictions nous permettent de mieux comprendre notre propre vision du monde.
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