Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
Voyages interstellaires et imaginaires : la bande dessinée de science-fiction française, entre exploration et révolution graphique.
La bande dessinée de science-fiction française, bien qu'ayant longtemps été marginalisée, possède une histoire riche et complexe. Ce parcours nous invite à remonter aux sources mêmes de la bande dessinée tout en explorant la manière dont elle s'est entremêlée à la science-fiction, un genre souvent perçu comme appartenant aux romans et récits illustrés, mais qui a également trouvé sa place dans les vignettes et les bulles.
Aux origines de la bande dessinée et de la science-fiction
L'étude de l'évolution de la bande dessinée ne saurait se passer d'une exploration archéologique, où les limites du genre se définissent progressivement. En France, le concept de "bande dessinée" s'établit à partir du moment où les images s'enchaînent pour former une narration continue, une approche encore balbutiante au XIXe siècle, mais déjà prometteuse. Rodolphe Töpffer, souvent considéré comme le pionnier de la bande dessinée, introduit également un élément de science-fiction dans Le Docteur Festus (1840), où l’on voit le premier "engin habité" bondir dans l’espace. La filiation entre science-fiction et bande dessinée se révèle ainsi dès l'origine, avec une parenté née du XIXe siècle technicien.
Cette ère voit également apparaître d'autres précurseurs, notamment les célèbres images d'Épinal, diffusées par Pellerin, qui illustrent des mondes sous-marins ou des voyages lunaires, puisant dans l’imaginaire d’anticipation scientifique inspiré par Jules Verne. En France, la science-fiction graphique prend forme sous des traits variés, et parmi ses pionniers, on trouve Christophe (Marie-Louis-Georges Colomb), créateur de La Famille Fenouillard et surtout de L’idée fixe du savant Cosinus (1893-1899), dont l'invention d’une bicyclette farfelue introduit une touche de merveilleux scientifique.
Le tournant du XXe siècle et l’âge des "illustrés"
Au début du XXe siècle, la bande dessinée française trouve refuge dans les "illustrés", ces journaux pour enfants qui privilégient les récits d’aventures et de science-fiction. Parmi les premières figures à émerger, citons Louis Forton et ses Pieds Nickelés, mais également des œuvres comme Le Fils de la Terre de Maurice Watt (1912) ou les visions futuristes de Victor Mousselet, qui multiplie les récits d'anticipation comme Dans la planète Mars ou Le Tour du monde en hydroaéroplane.
L’entre-deux-guerres voit naître une véritable bande dessinée moderne avec Alain Saint-Ogan et Zig et Puce (1925), première série française à introduire les fameuses "bulles" ou phylactères, qui deviendront un élément essentiel de la narration graphique. Saint-Ogan ne s’arrête pas là, explorant également la science-fiction avec Le Rayon mystérieux (1938), un récit d’invasion extraterrestre redevable aux auteurs de merveilleux scientifique comme Jules Verne et H. G. Wells.
L'influence des comics américains et la montée des grands récits de science-fiction
La période suivante est marquée par une influence décisive : celle des comics américains. Dès les années 1920, des personnages emblématiques comme Buck Rogers et Flash Gordon apparaissent en France, bouleversant la production locale qui peine à suivre le rythme de cette bande dessinée moderne, bien plus dynamique et visuellement novatrice.
Cependant, quelques auteurs français relèvent le défi. René Pellos avec Futuropolis (1937-1938) met en scène un avenir robotisé et apocalyptique, avec une rébellion contre une tyrannie mécanique, influencé par le Metropolis de Fritz Lang. Mais c’est surtout après la Seconde Guerre mondiale que la bande dessinée de science-fiction commence à s'affirmer. Le duo formé par Roger Lécureux et Raymond Poïvet donne naissance à Les Pionniers de l’Espérance (1945-1973), une série où des personnages de couleurs et de genres différents explorent les confins de l’espace pour sauver la Terre. Ce collectif héroïque préfigure les équipes de science-fiction des décennies à venir.
L’apogée des années 1960 et 1970 : Valérian, Métal Hurlant et la bande dessinée adulte
Les années 1960 marquent un tournant décisif avec l'émergence de séries comme Valérian et Laureline de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, qui révolutionne le genre en introduisant un space-opera critique des dérives militaro-industrielles et en proposant un duo de héros atypique, avec une dimension écologique et féministe. Publié pour la première fois en 1967, Valérian devient une référence absolue, influençant jusqu'à Hollywood avec des films comme Star Wars.
Parallèlement, Métal Hurlant (1975) voit le jour, magazine fondé par Moebius, Philippe Druillet et Jean-Pierre Dionnet, qui dynamite les codes traditionnels de la bande dessinée. Ce support devient le laboratoire de la bande dessinée adulte, mêlant science-fiction, rock, érotisme et expérimentation visuelle. Moebius (alias Jean Giraud) avec Arzach et la saga de L’Incal (scénarisée par Jodorowsky), et Druillet avec Lone Sloane, créent des œuvres graphiquement et narrativement révolutionnaires, repoussant les limites de l’imaginaire.
L’héritage de la science-fiction en bande dessinée
La bande dessinée de science-fiction française a su évoluer en dialogue constant avec les autres arts et supports narratifs, des romans aux films en passant par la peinture et l’illustration. Elle a traversé les époques, s’affranchissant des influences américaines pour développer ses propres mythologies et esthétiques. Si les publications telles que Pilote et Métal Hurlant ont disparu, leur héritage demeure vivace dans la production contemporaine.
La bande dessinée de science-fiction, loin d’être un simple divertissement pour enfants, s’est imposée comme un moyen d’expression artistique majeur, abordant des thématiques profondes et universelles : la quête de liberté, les dérives technologiques, et la place de l’humain dans l’univers. Les grands auteurs de science-fiction littéraire tels que Rosny Aîné, Maurice Renard ou Jules Verne continuent d’inspirer ce genre graphique unique, qui, à travers ses récits, invite à réfléchir sur le futur tout en puisant dans l’histoire de l'humanité.
Ainsi, la bande dessinée de science-fiction française, de Rodolphe Töpffer à Moebius, est un miroir de notre modernité, un reflet de nos angoisses et de nos rêves d’un avenir meilleur. Elle mérite d’être reconnue pour la richesse de ses récits et la profondeur de ses créations.
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