À travers les siècles, le livre de jeunesse a été bien plus qu’un simple objet de divertissement : il s’est affirmé...
XIII, l’ascension inattendue d’un phénomène de la bande dessinée.
En septembre 1984, la bande dessinée belge accueille discrètement un nouveau venu, Le jour du soleil noir, premier tome de la série XIII. À l’époque, peu auraient parié sur le succès durable de ce personnage créé par Jean Van Hamme et William Vance. Pourtant, quarante ans plus tard, XIII est devenu une référence incontournable du neuvième art, un véritable best-seller dont l’histoire continue de s’écrire, malgré la disparition de l’un de ses créateurs et le retrait de l’autre. Retour sur la genèse d’un mythe moderne qui doit autant à l’audace de ses auteurs qu’à un contexte éditorial propice.
Un pari audacieux
L’aventure commence en 1982, lorsqu’un tandem composé de Jean Van Hamme, scénariste chevronné, et William Vance, dessinateur d’une précision remarquable, décide de proposer un nouveau projet aux éditions du Lombard. Le duo, convaincu du potentiel de leur héros, XIII, espère obtenir un soutien solide de la part de Guy Leblanc, directeur des éditions du Lombard. Cependant, ce dernier refuse de s’engager, contraignant Van Hamme et Vance à chercher un autre éditeur. Leur détermination finit par porter ses fruits lorsque Dargaud Benelux accepte de publier leur projet. C’est ainsi que, après plusieurs mois de tergiversations, XIII voit le jour avec Le jour du soleil noir.
Le personnage de XIII, avec son visage anguleux, son regard intense et son allure résolument masculine, incarne une vision de la virilité inspirée par le cinéma américain. William Vance, influencé par l’esthétique hollywoodienne, dessine un héros solitaire, rejeté par la société, qui doit se battre pour survivre. Le dessinateur belge, soucieux de clarté et de lisibilité, utilise une plume précise pour donner vie à ce personnage, entouré de figures féminines fortes, dont la conception visuelle s’appuie sur une banque d’images soigneusement constituée par l’épouse de Vance. Parmi ces figures, le major Jones, inspirée par les icônes américaines telles que Whitney Houston et Halle Berry, deviendra un personnage emblématique de la série.
Un succès progressif
Malgré des débuts modestes, avec un premier tirage limité à 10 000 exemplaires, XIII commence à trouver son public. Le succès arrive progressivement, culminant avec la sortie du quatrième tome, Spads, en 1987, qui se vend à 42 000 exemplaires. Cependant, le véritable tournant se produit avec la parution de Treize contre Un. Soutenu par une campagne publicitaire innovante, comprenant notamment un spot de 16 secondes projeté dans 320 salles de cinéma en France et en Belgique, cet album marque l’entrée de XIII dans une nouvelle dimension. Le tirage atteint 148 000 exemplaires, propulsant la série au rang de phénomène culturel. En janvier 1993, lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, Van Hamme et Vance sont accueillis par une foule de fans, témoignant de l’engouement croissant pour leur création.
Ce succès ne se dément pas avec les albums suivants. En 1995, Trois montres d’argent bénéficie d’une campagne marketing ciblant les voyageurs de première classe du TGV, contribuant à la vente de 210 000 exemplaires en seulement trois semaines. Dargaud, déterminé à maximiser l’impact de la série, organise une promotion d’envergure pour l’album suivant, Le jugement, en partenariat avec les réseaux de cinémas UGC et Pathé. Résultat : 445 000 exemplaires sont vendus en langue française, confirmant l’ascension de XIII au sommet des ventes de bande dessinée.
L’ère du succès confirmé
À l’aube du XXIe siècle, XIII est devenu bien plus qu’une simple série de bande dessinée : c’est un phénomène éditorial. Malgré ce succès, Jean Van Hamme annonce en 2002 son intention de clore la saga au 18e tome. Mais Yves Schlirf, l’éditeur de la série, n’est pas prêt à voir disparaître une telle poule aux œufs d’or, chaque nouvel album se vendant désormais à 500 000 exemplaires. Schlirf réussit à convaincre Van Hamme d’écrire un 19e tome, en lui proposant de collaborer avec Jean Giraud, maître du western réaliste et créateur de Blueberry. Séduit par l’idée, Van Hamme rédige La version irlandaise en seulement cinq semaines. Ce tome, inspiré par les événements politiques en Irlande, est pour Jean Giraud un véritable défi graphique, narratif et stylistique, tandis que William Vance conclut la saga avec Le dernier round. Les deux albums, publiés simultanément, atteignent chacun des tirages de 500 000 exemplaires.
La continuité sans les créateurs originaux
En 2009, alors que XIII a franchi la barre des 11 millions d’albums vendus, la série continue sans ses créateurs d’origine. Jean Van Hamme tire sa révérence, tandis que William Vance, atteint de la maladie de Parkinson, doit abandonner le dessin. La relève est assurée par Yves Sente au scénario et Iouri Jigounov au dessin, qui poursuivent l’aventure avec succès. En parallèle, une série dérivée, XIII Mystery, est lancée sous la supervision de Van Hamme, explorant les personnages secondaires de l’univers de XIII. Parmi les contributions marquantes à cette spin-off, Yann et Olivier Taduc signent une trilogie consacrée à Jones, dont le second tome, Rouge Alcatraz, est publié à l’occasion du quarantième anniversaire de la série.
Un héritage durable
Quarante ans après la sortie discrète du premier album, XIII demeure une œuvre phare de la bande dessinée francophone. Le parcours de cette série, de ses débuts modestes à son statut de phénomène éditorial, témoigne du talent de ses créateurs et de la force de l’univers qu’ils ont su bâtir. Au-delà de son succès commercial, XIII a marqué des générations de lecteurs et continue d’inspirer de nouveaux auteurs, confirmant ainsi son statut d’œuvre incontournable du neuvième art.
L’histoire de XIII, racontée en détail par des experts comme Patrick Gaumer dans sa monographie sur William Vance, offre une plongée fascinante dans les coulisses de la création d’une des bandes dessinées les plus emblématiques de notre époque. À travers les épreuves, les succès et les défis, XIII s’est imposé non seulement comme un best-seller, mais aussi comme un témoignage de l’évolution de la bande dessinée, un art en constante réinvention.
En conclusion, l’ascension de XIII est le fruit d’une combinaison unique de talents, de timing et de persévérance. Cette saga, qui a su captiver des millions de lecteurs à travers le monde, reste un exemple éclatant de la manière dont la bande dessinée peut transcender les frontières et devenir un phénomène culturel mondial.
Laissez un commentaire
Connectez-vous pour publier des commentaires