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La reprise des personnages de bandes dessinées : entre hommage et controverse.

La reprise de personnages emblématiques de bandes dessinées est un sujet complexe qui soulève de nombreuses questions. D'un côté, ces personnages ont acquis un statut culte et leur retour peut raviver l'intérêt des fans. De l'autre, les auteurs originaux ont souvent une vision très personnelle de leurs créations et peuvent mal vivre de les voir reprises par d'autres. Examinons quelques cas révélateurs et les motivations économiques derrière ces reprises.

Gaston Lagaffe : un héritage encombrant

Lorsque Dupuis a annoncé la sortie d'un nouvel album de Gaston Lagaffe en 2022 pour le centenaire des éditions, cela a suscité un certain malaise. En effet, Isabelle Franquin, fille d'André Franquin le créateur de Gaston, détient le droit moral sur l'œuvre de son père. Même si les droits ont été cédés à une société, la loi française accorde à l'auteur un droit moral "perpétuel, inaliénable et imprescriptible" sur son œuvre.

André Franquin était très attaché à son style personnel et n'appréciait guère que d'autres auteurs s'en inspirent trop, comme Seron avec "Les Petits Hommes". Il estimait que le dessin devait exprimer la personnalité de l'auteur. Lorsqu'il a repris Spirou après Jijé, il s'est attaché à laisser sa marque.

Franquin a accompagné l'éclosion de nombreux auteurs talentueux comme Peyo, Wasterlain ou Frank Pé, mais il a aussi été décontenancé par des dessinateurs comme Yves Chaland qui s'inspiraient beaucoup de lui. Où placer la frontière entre l'hommage et le plagiat ? La question reste ouverte.

Ric Hochet : une reprise audacieuse

La reprise des aventures de Ric Hochet par Zidrou et Simon Van Liemt a fait un pari osé : tuer le héros dès les premières pages pour laisser un sosie prendre sa place. C'est une audace qui marque une rupture avec la série originale de Tibet et Duchâteau.

Les auteurs se permettent des choses inédites comme impacter directement les personnages principaux, tuer le chat de Ric, ou évoquer la vie sentimentale du commissaire Bourdon. Cela peut choquer les lecteurs habitués à la série d'origine, mais apporte aussi un vent de fraîcheur.

Zidrou réussit à conserver l'esprit de la série tout en y apportant plus d'autodérision. Les enquêtes policières restent au cœur de l'intrigue, mais la vie des personnages prend plus d'importance. Un équilibre subtil entre respect de l'œuvre originale et réinvention.

Lucky Luke : une nouvelle perspective

Blutch a récemment repris Lucky Luke avec l'album Les Indomptés, qui a été salué pour sa capacité à capturer l'esprit original tout en apportant une nouvelle perspective. Blutch a su marier l'élégance des cartoonists avec l'humour typique de la série, créant des personnages bien campés et des dialogues percutants.

Corto Maltese : une touche moderne

La série Corto Maltese a également fait l'objet de nouvelles adaptations. Pellejero a été impliqué dans la reprise de ce personnage mythique, apportant un nouveau souffle à l'univers créé par Hugo Pratt. Cette reprise a été bien accueillie, notamment pour son respect de l'œuvre originale tout en y ajoutant une touche moderne.

Astérix : un héritage bien préservé

Astérix, créé par René Goscinny et Albert Uderzo, a été repris par Jean-Yves Ferri et Didier Conrad. Leur travail a été bien accueilli, permettant à la série de continuer à captiver de nouvelles générations tout en respectant l'esprit des albums originaux.

Achille Talon : une reprise controversée

La reprise d'Achille Talon par Carrère a été critiquée par certains, qui estiment que cette adaptation ne respecte pas l'esprit du personnage créé par Greg. Les avis sont partagés sur cette reprise, certains la jugeant réussie, tandis que d'autres la voient comme une erreur.

Tif et Tondu : une fidélité discutée

Blutch a également été mentionné pour sa reprise de Tif et Tondu, bien que certains critiques aient exprimé des réserves sur la fidélité à l'œuvre originale de Will. La question de l'héritage et du respect des créateurs originaux est un thème récurrent dans les discussions sur ces reprises.

Enjeux financiers des reprises

Sur le plan financier, reprendre un personnage emblématique offre une sécurité économique. Les séries bien établies ont une base de fans solide et des ventes assurées, contrairement à la création de nouveaux personnages qui doit encore conquérir le marché. Les éditeurs et auteurs misent sur la notoriété des personnages pour assurer des ventes élevées et une large diffusion. Les reprises réussies, comme celles de Lucky Luke par Blutch ou de Corto Maltese par Pellejero, parviennent à capturer l'esprit original tout en y apportant une nouvelle perspective, assurant ainsi un succès tant critique que commercial. Les nouvelles publications bénéficient de la renommée des originaux, générant des revenus substantiels grâce aux ventes d'albums et aux produits dérivés.

Conclusion : entre respect, créativité et enjeux financiers

La reprise de personnages cultes est un exercice d'équilibriste. Il faut savoir rendre hommage à l'œuvre originale tout en apportant sa propre touche. Trop de respect et on tombe dans la redite, trop de liberté et on trahit l'esprit de la série.

Les auteurs doivent aussi composer avec les ayants droit, qui ont leur propre vision de ce que devrait être la suite. Un dialogue subtil s'instaure entre créativité et respect des origines. Certaines reprises réussissent cet équilibre, d'autres échouent. Mais toutes montrent la vitalité d'un patrimoine BD qui continue d'inspirer

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