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Le pétrarquisme italien du XVIe au XVIIe siècle : évolution et influence culturelle.

Les études sur le pétrarquisme italien entre le XVIe et le XVIIe siècle sont nombreuses et variées, illustrant la richesse de ce mouvement littéraire à travers divers contextes géographiques et chronologiques. Parmi les chercheurs notables, on peut citer Italo Pantani pour les poètes pétrarquistes du Quattrocento, Stefano Carrai et Marco Santagata pour le « petrarchismo cortigiano » de l’Italie du Nord, Giorgio Forni pour le pétrarquisme à Rome, ainsi que Luigi Baldacci, Alessandro Metlica et Franco Tomasi pour la forme du chansonnier au XVIe siècle. Ezio Raimondi et Amedeo Quondam se sont, quant à eux, penchés sur la poésie méridionale entre Cinquecento et Seicento.

Ces études se concentrent sur le modèle du Canzoniere de Pétrarque, en explorant deux axes principaux : d'une part, elles expliquent comment Pétrarque est devenu une source de motifs, thèmes et topoi de la poésie amoureuse en Italie et en Europe ; d'autre part, elles examinent l'abondante diffusion d'anthologies et de chansonniers, principalement composés de sonnets et de madrigaux, qui suivent le paradigme de la langue et des formes poétiques institué par les Fragmenta.

Il n’existe pas d’étude homogène sur la poésie pétrarquiste de la Renaissance au baroque. Cependant, en référence aux travaux majeurs déjà mentionnés, il est possible de tracer un chemin historique et linguistico-littéraire du petrarchismo, en proposant une lecture « continuiste » de ce long courant culturel. En se concentrant sur les catégories de style et de lexis propres à ce mouvement, on peut démontrer qu’il est possible de trouver, au cœur du XVIIe siècle, une solution au contraste entre le « je » lyrique et la mimésis (ou la poésie lyrique/mimésis) qui caractérise la poésie italienne, c’est-à-dire au conflit entre la pratique du pétrarquisme et la Poétique d’Aristote.

Dans l’Italie de la première modernité, la diffusion et la canonisation de la poésie vulgaire de Pétrarque, notamment par la mise en œuvre du pétrarquisme et le dépassement de la variété des styles du Quattrocento, trouvent leur origine chez Pietro Bembo. Ce dernier s’engage dans trois entreprises linguistiques et littéraires majeures : la publication d’une édition des Cose volgari di Messer Francesco Petrarcha (1501) auprès d’Aldo Manuzio, l’écriture des Asolani (1505), et enfin, l’édition des Prose della volgar lingua (1525), imposant de façon définitive à la poésie italienne la langue et le style du Canzoniere.

La création du canon Bembo-Pétrarque et la naissance de la langue littéraire italienne vont de pair avec la diffusion du premier best-seller dans l’histoire de l’imprimerie en Occident. Cette révolution linguistique et littéraire est aussi le produit de l’industrie typographique, impulsant un tournant par rapport à la période de l’humanisme latin. Bembo applique le principe de l’imitation des auteurs latins à la poésie de Pétrarque, suggérant l’optimus omnium auctor à l’exemple de Cicéron. Il en résulte un véritable canon littéraire de la poésie du Canzoniere comme technique stylistique et linguistique à imiter.

Cependant, cette standardisation de la poésie pétrarquienne se heurte aux préceptes de la Poétique d’Aristote, le traité le plus important sur la poésie ancienne, redécouvert à l’époque. La Poétique impose une théorie de la littérature peu compatible avec l’institution d’une poésie amoureuse subjective. Pétrarque, auteur du fort « je » lyrique, ne rentre pas aisément dans la catégorie aristotélicienne de mimésis, marquée par une forme d’objectivité. Les petrarchisti du XVIe siècle, en suivant les règles de Bembo, fixent la langue, le style et la forme de la poésie italienne, produisant une fracture à la Renaissance entre la pratique du pétrarquisme et les préceptes de la théorie aristotélicienne, créant une séparation nette entre poésie et Poétique.

Parmi les nombreux traités publiés entre 1549 et la fin de la Renaissance, ceux d’Antonio Minturno et de Pomponio Torelli mettent en lumière ce problème tout en proposant des solutions. Minturno, par exemple, dans ses De poeta libri (Venise, 1559), tente de concilier le canon de Bembo avec la théorie aristotélicienne. Torelli, quant à lui, dans son Trattato della poesia lirica (Parme, 1594), propose une synthèse d’aristotélisme et pétrarquisme, démontrant comment Pétrarque peut être un modèle de mimésis des passions humaines et d’imitatio des styles.

La solution de Torelli avait été anticipée par les Prose de Giulio Cortese (Naples, 1590), un traité de poétique anti-aristotélicien proche du néoplatonisme de Bembo. Cortese utilise de nombreuses strophes du Canzoniere pour montrer comment Pétrarque avait inventé un langage adapté à la mimésis de la réalité, digne d’être imité à l’image des classiques anciens. De nombreux chercheurs ont démontré que le baroque est construit sur l’imitatio-aemulatio du pétrarquisme, comme en témoignent la poésie amoureuse de Marino et son effort d’élargir la lexis pétrarquéenne.

Dans le baroque méridional, Poétique et poésie sont deux catégories conciliables, partageant le même but : créer une poésie imitative des faits tout en suivant le style et la langue de Pétrarque. L’Académie des Svegliati, l’Académie des Oziosi et l’Académie des Investiganti à Naples suivent le canon pétrarquiste comme une source inépuisable de vocabulaire et d’images, utilisé par les théoriciens comme modèle de renouvellement de la poésie amoureuse.

Le rejet de la tradition aristotélicienne dans le baroque méridional conduit à un neopetrarchismo où des poètes comme Giambattista Manso et Antonio de’ Rossi, ainsi que des théoriciens comme Giuseppe Battista, représentent une pratique bembienne anti-aristotélicienne. Leur adhésion à Bembo témoigne d’un changement d’orientation vers la théorie de Platon, déjà mise en évidence dans certaines Poétiques du Cinquecento.

Les plus récentes éditions de la poésie lyrique méridionale révèlent cette direction prise par l’écriture poétique baroque en Italie, confirmant l’anti-aristotélisme et l’adhésion au pétrarquisme comme modèle poétique. Cette évolution témoigne de l’influence durable de Pétrarque et de la capacité du pétrarquisme à se renouveler et à s’adapter aux exigences esthétiques et théoriques de différentes époques.

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