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L'anti-héros en bande dessinée : miroir de nos imperfections.
L'anti-héros, figure essentielle de la bande dessinée, incarne une rupture avec l’image traditionnelle du héros classique, celui qui symbolise la bravoure, la force et l’idéal moral. Contrairement à ce dernier, l’anti-héros n’a pas pour vocation de susciter l’admiration ni de représenter un modèle de vertu. Il se distingue par ses faiblesses, ses ambiguïtés, et parfois même par un comportement en totale opposition à celui d’un héros conventionnel. Cette figure reflète davantage la complexité humaine, loin des stéréotypes du héros infaillible.
Les premiers anti-héros : des bourgeois ridicules
La bande dessinée s’est très tôt approprié la figure de l’anti-héros pour tourner en dérision les conventions sociales. Dès le XIXe siècle, des auteurs comme Rodolphe Töpffer mettent en scène des bourgeois ridicules, tels que monsieur Jabot ou Vieux Bois. Ces personnages, loin d’être des parangons de vertu, sont plutôt des figures grotesques, piégées par leur propre stupidité ou vanité. Le rire naît de leurs mésaventures, où la médiocrité humaine est dévoilée sans fard.
Avec les enfants terribles, tels que Max et Moritz de Wilhelm Busch ou les Katzenjammer Kids, l’anti-héros trouve une nouvelle incarnation dans des personnages irrévérencieux, transgressant les règles sociales et morales. Ces enfants espiègles, loin de correspondre aux idéaux de l’enfance sage et obéissante, sont les précurseurs d’une longue tradition de personnages en opposition avec l’ordre établi.
L’anti-héros vagabond
Au début du XXe siècle, la figure du vagabond s’impose comme une forme d’anti-héros. Des personnages comme Charlot, popularisé par Charlie Chaplin, ou Happy Hooligan de Frederick Burr Opper, incarnent cet archétype du marginal, du déclassé. Ces vagabonds, souvent maladroits et malchanceux, évoluent à la marge de la société, loin des valeurs héroïques conventionnelles. Leur charme réside dans leur capacité à naviguer dans un monde qui les rejette, à se débrouiller malgré tout avec un mélange de naïveté et de ruse.
L’anti-héros dans la bande dessinée d’aventure
Si la bande dessinée d’aventure des années trente met en scène des héros athlétiques et sans peur, un contre-courant apparaît avec des figures moins glorieuses, qui ne correspondent pas au modèle héroïque classique. Ces anti-héros, souvent déclassés, ne possèdent ni les qualités physiques ni les vertus morales de leurs homologues héroïques. Par exemple, certains personnages peuvent se montrer lâches, intéressés ou simplement incompétents, mais c'est précisément cette imperfection qui les rend attachants et humains.
L’un des exemples les plus frappants de ce type d’anti-héros est Blueberry, créé par Jean-Michel Charlier et Jean Giraud. Bien qu’il soit officiellement un héros de western, Blueberry se démarque par sa constante défiance envers l’autorité et ses choix souvent discutables. Il se rebelle contre sa hiérarchie, adopte des comportements frondeurs, allant même jusqu’à abattre un homme dans le dos ou enlever une mariée. Loin des figures héroïques moralisatrices, Blueberry est un personnage complexe, dont les failles le rendent particulièrement intéressant.
Le faire-valoir : une forme d’anti-héros
Le faire-valoir, personnage secondaire accompagnant le héros, s’apparente souvent à un anti-héros par ses défauts et ses maladresses. Des figures comme Obélix ou le capitaine Haddock, loin d’incarner la perfection héroïque, sont marquées par des traits de caractère excessifs, voire grotesques. Leurs colères, leur maladresse ou leurs vices (l'alcoolisme chez Haddock, la gourmandise d’Obélix) font d’eux des personnages plus humains et vulnérables que le héros en titre. En cela, ils apportent une dimension comique et dramatique aux récits, tout en humanisant les aventures héroïques.
Là où le héros classique est souvent désincarné, idéalisé, le faire-valoir devient le point de contact entre la fiction et la réalité. Par son caractère faillible, il reflète les préoccupations et les imperfections humaines, se distinguant ainsi par son anti-héroïsme.
L’âge d’or de l’anti-héros adulte
Les années soixante marquent un tournant dans l’histoire de la bande dessinée avec l’apparition de séries expressément destinées aux adultes. Ce changement s’accompagne d’une montée en puissance de l’anti-héros, figure incontournable de cette nouvelle vague. Achille Talon, descendant direct de personnages comme monsieur Poche ou Agénor Fenouillard, incarne l’esprit de la satire, avec un humour grinçant et un comportement souvent ridicule. Loin de l’héroïsme traditionnel, ces personnages sont au contraire des figures de l’excès et de la moquerie.
Les Fabulous Furry Freak Brothers, créés par Gilbert Shelton, sont également des héritiers modernes des Pieds Nickelés. Ces marginaux, vivant en marge de la société, se complaisent dans la drogue, l’alcool et le rejet des conventions sociales. Leur comportement est en total décalage avec les valeurs héroïques de l’ordre et de la justice, faisant d’eux des anti-héros emblématiques de l’époque contestataire des années soixante-dix.
Le renversement des valeurs héroïques
Avec l’avènement de l’anti-héros, le rapport à l’autorité et aux institutions est profondément transformé. Là où les héros classiques, tels que Tintin ou les scouts de la Patrouille des Castors, se battaient pour rétablir l’ordre et défendre les institutions, les anti-héros modernes se placent en opposition frontale avec ces mêmes structures. Des personnages comme Corto Maltese, du côté des rebelles, ou Blueberry, en conflit avec sa hiérarchie, incarnent cette nouvelle figure de l’anti-héros frondeur et indiscipliné.
Ce basculement est également perceptible dans la manière dont ces personnages traitent les questions morales. Là où les héros traditionnels respectaient des codes éthiques stricts, les anti-héros n’hésitent pas à transgresser ces normes. Ils volent, mentent, et prennent des décisions souvent moralement discutables, mais ces failles les rapprochent des lecteurs, qui s’identifient plus facilement à leurs imperfections.
L'anti-héros et la modernité
La figure de l’anti-héros continue d’évoluer au fil des décennies, épousant les transformations sociales et culturelles. À partir des années soixante-dix, un nouveau type d'anti-héros émerge dans le milieu de l’art et de la culture. Ces personnages, souvent artistes ou collectionneurs, reflètent un monde en pleine mutation où les valeurs traditionnelles sont remises en question. Tintin, dans sa dernière aventure inachevée, devait évoluer dans le milieu de l’art, marquant ainsi une transition vers une bande dessinée plus introspective et ancrée dans les préoccupations modernes.
L’anti-héros, une figure éternelle
L’anti-héros, loin d’être une simple figure marginale, est devenu un pilier de la bande dessinée. Représentant les contradictions et les failles de la nature humaine, il s’oppose à la perfection héroïque en embrassant ses imperfections. Des bourgeois ridicules du XIXe siècle aux marginaux contestataires des années soixante, en passant par les faire-valoir des héros classiques, l’anti-héros reflète l’évolution des mentalités et des attentes des lecteurs. Son ambiguïté, sa complexité et son refus des conventions héroïques en font une figure intemporelle, toujours en résonance avec les préoccupations de son époque.
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