L'apogée et la chute des manuscrits au 15e siècle en France.

Le 15e siècle représente un tournant décisif pour les livres manuscrits en France, marquant à la fois leur apogée et leur déclin face à la montée en puissance de l'imprimerie. Cette période, particulièrement les quarante premières années, est extrêmement riche en événements et évolutions dans le domaine du manuscrit, malgré un contexte politique turbulent.

Le contexte politique et culturel

Malgré les troubles politiques internes, tels que la folie du roi Charles VI et les querelles intestines entre Armagnacs et Bourguignons, ainsi que le conflit persistant avec l'Angleterre, Paris demeure jusqu'aux environs de 1420 la capitale incontestée du livre et de l'enluminure. Dans ce climat, la littérature française voit naître un humanisme latin inspiré par l'Italie, la première grande querelle littéraire autour du "Roman de la rose", et un florilège de déplorations sur les malheurs de la France, notamment celles d'Alain Chartier.

Les princes bibliophiles

À la charnière du 15e siècle, plusieurs princes français se distinguent par leur mécénat et leur passion pour les manuscrits. Parmi eux, Jean, duc de Berry, Philippe le Hardi et son fils Jean Sans Peur, ducs de Bourgogne, ainsi que Louis d’Orléans, frère du roi, jouent un rôle crucial dans la production et l'illustration de ces précieux ouvrages.

Jean de Berry : le mécène par excellence

Jean de Berry est probablement le plus célèbre mécène de cette époque. Sa bibliothèque, riche d'au moins trois cents volumes, est dispersée entre ses résidences de Paris, Bourges et Mehun-sur-Yèvre. Employant des artistes flamands comme Jacquemart de Hesdin et les frères Limbourg, il révolutionne l'art de l'enluminure en France. Le manuscrit des "Très Riches Heures", conservé au musée Condé de Chantilly, reste l'exemple le plus emblématique de son mécénat.

Un autre chef-d'œuvre de sa collection est un exemplaire magnifiquement enluminé du "Roman de la rose" de Guillaume de Lorris. Ce manuscrit se distingue par l'élégance de sa mise en page, les grandes initiales qui introduisent chaque vers, et les lettres filigranées qui décorent chaque strophe, créant ainsi une harmonie visuelle remarquable. Les illustrations, riches en motifs courtois et symboles encyclopédiques, reflètent l'érudition et le goût raffiné du duc.

Christine de Pizan : une pionnière des lettres

Parmi les figures marquantes de cette époque figure Christine de Pizan, la première femme de lettres professionnelle en Europe. Fille de l'astrologue royal Thomas de Pizan, elle devient veuve très jeune et doit subvenir seule à ses besoins. Offrant ses œuvres à des mécènes comme le duc d’Orléans et le duc de Berry, elle supervise attentivement la copie et l'illustration de ses manuscrits, contribuant ainsi à l'évolution de la littérature féminine.

Les cours régionales et la diffusion de l'art du manuscrit

Dans la seconde moitié du 15e siècle, la production littéraire et artistique se déplace vers différentes cours régionales, notamment Blois, Tours et Angers.

Charles d’Orléans : le prince-poète

Charles d’Orléans, fils de Louis d’Orléans assassiné en 1407 et captif en Angleterre après la défaite d’Azincourt, développe une poésie introspective marquée par la mélancolie et le spleen. Sa bibliothèque austère, riche de près de 190 manuscrits, témoigne de son érudition et de son goût pour les lettres. À son retour en France, il devient un poète emblématique de la cour de Blois, entouré de lettrés et d'artistes.

Jean Fouquet : le maître de l’enluminure

À la cour de Charles VII à Tours, Jean Fouquet se distingue comme l’un des enlumineurs les plus célèbres de son temps. Nommé "peintre du roi" en 1471, Fouquet combine ses talents de peintre et d'enlumineur pour créer des œuvres remarquables, influencées par son voyage en Italie et sa maîtrise de la perspective. Ses compositions historiques et portraits montrent une grande finesse et un sens aigu du détail, consolidant sa réputation dans l’histoire de l’art.

La transition vers l’imprimerie

Malgré la naissance de l'imprimerie, la production de manuscrits continue vigoureusement jusqu'aux années 1530. Les premiers livres imprimés imitent souvent les manuscrits, tant dans la mise en page que dans l’illustration. Ironiquement, l'une des plus belles représentations d'un atelier d'imprimerie se trouve dans un manuscrit datant de cette époque, le "Puy de Rouen", un recueil de poésies en l'honneur de la Vierge.

Le 15e siècle en France est une période charnière pour les livres manuscrits, où l'apogée de leur production coïncide avec les prémices de leur déclin face à l'imprimerie. Les princes-mécènes et les artistes de talent comme Jean de Berry et Jean Fouquet, ainsi que des figures littéraires comme Christine de Pizan, ont joué un rôle crucial dans cette transition, laissant un héritage culturel et artistique d'une richesse inestimable. Ces manuscrits, témoignages d'une époque révolue, continuent de fasciner par leur beauté et leur complexité, illustrant un moment unique dans l'histoire de la littérature et de l'art.