Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
L'art de narrer par la couleur dans la bande dessinée.
La bande dessinée, souvent perçue comme une forme d’art visuel accessible et populaire, a longtemps été associée au dessin et à la narration graphique par des traits de plume ou de crayon. Cependant, il existe une dimension essentielle à l’expérience narrative qui a longtemps été négligée : la couleur. Bien que certains lecteurs ne discernent pas toujours l'importance de cette composante, elle occupe une place primordiale dans la bande dessinée contemporaine, notamment grâce au travail des coloristes. Ces artistes, qui ne se contentent pas d’appliquer des teintes de manière arbitraire, contribuent à une narration plus complexe et immersive.
Le rôle historique de la couleur dans la bande dessinée
Dès ses débuts, la bande dessinée a exploré l'utilisation de la couleur. Toutefois, les premières œuvres étaient principalement en noir et blanc, limitées par les contraintes techniques de l'impression. Il faut attendre l'avènement des revues illustrées et la bande dessinée franco-belge pour que la couleur devienne un enjeu central. La couleur, dans ces premières œuvres, était souvent vue comme un « bonus » destiné à rendre les illustrations plus attrayantes, sans être perçue comme un élément essentiel de la narration.
Ce n'est qu'au fil du temps que l'on commence à comprendre le potentiel narratif de la couleur. Aujourd'hui, les coloristes sont capables de créer des atmosphères, de guider l'œil du lecteur et de jouer sur les émotions à travers des choix chromatiques réfléchis. Ces artistes, longtemps relégués dans l'ombre des dessinateurs, voient enfin leur rôle se redéfinir et leur importance se reconnaître dans la chaîne de création.
Le métier de coloriste : un art à part entière
Loin d’être de simples techniciens chargés de « remplir » des dessins, les coloristes sont des créateurs à part entière. En fait, leur rôle est de plus en plus souvent mis en avant comme étant fondamental dans la réussite d’un album de bande dessinée. Certains coloristes, comme Isabelle Merlet ou Elvire de Cock, soulignent que la couleur dialogue avec le dessin et qu'elle doit être pensée en fonction du récit. Leur travail dépasse largement l'aspect esthétique ; il influence la compréhension du texte et le rythme de lecture.
L’approche du coloriste est souvent liée à la lumière et à la matière. La couleur peut être utilisée pour mettre en avant certaines parties du dessin, créer une ambiance ou évoquer un moment précis dans l’histoire. Le choix d'une palette chromatique n'est jamais anodin : il peut influencer la perception émotionnelle du lecteur, renforcer l’impact d’une scène ou souligner des éléments narratifs essentiels.
L'impact narratif de la couleur
Le coloriste n’a pas pour seule mission de rendre l’œuvre plus belle ou plus attrayante. Il contribue activement à la narration. Dans certaines bandes dessinées, la couleur devient même un élément narratif à part entière. Prenons l'exemple des œuvres colorisées par Walter, où l'usage des dominantes colorées guide l'émotion du lecteur et oriente la lecture. Les contrastes, les variations de saturation et de luminosité permettent de jouer sur l'ombre et la lumière, accentuant certains aspects du récit.
Les études de planches montrent que la couleur peut également être utilisée pour délimiter des espaces temporels, marquer une rupture dans la narration, ou encore traduire des sentiments et des émotions non exprimés par les mots. Par exemple, dans certaines bandes dessinées réalistes, l’application de couleurs terreuses ou d’aplats sobres va permettre d’ancrer l’histoire dans une réalité tangible, tandis que des teintes plus vives ou des mélanges abstraits vont amener une dimension onirique ou fantastique.
La perception du coloriste dans l'industrie
Bien que le coloriste ait pris de plus en plus de place dans la création d’albums, son rôle reste souvent mal perçu. L’idée reçue selon laquelle « une bonne couleur est celle qui ne se remarque pas » persiste. Ce métier souffre d'une invisibilisation, non seulement dans la reconnaissance médiatique, mais aussi au niveau de la structure éditoriale. Dans certains cas, le nom du coloriste n'apparaît même pas sur la couverture de l’album.
Cette invisibilisation est renforcée par l'idée, encore largement répandue, que le dessin prévaut sur la couleur. Ce préjugé provient d’une tradition où la bande dessinée était perçue comme un art du dessin, laissant peu de place à la couleur. Or, de nos jours, il est largement admis que la couleur est un vecteur d'émotions aussi puissant que le dessin ou le texte.
Perspectives pour le métier de coloriste
Face à cette situation, il devient nécessaire de réfléchir aux moyens de revaloriser le métier de coloriste. Plusieurs pistes peuvent être envisagées : une meilleure reconnaissance institutionnelle, un partage plus équitable des droits d'auteur, et une plus grande visibilité médiatique. Les festivals, comme celui d’Angoulême, commencent à ouvrir leurs portes aux coloristes, et certaines expositions sont consacrées exclusivement à leur travail. Il est temps que cette évolution se poursuive et que le public prenne conscience de l'importance de ces artistes dans l’élaboration d’un album de bande dessinée.
Le coloriste ne se contente pas d’ajouter de la couleur ; il construit une narration en soi. À mesure que les techniques évoluent et que les bandes dessinées gagnent en complexité, le métier de coloriste continuera d’évoluer, se rapprochant de plus en plus du rôle d’un auteur complet. Il est possible qu’un jour, les coloristes obtiennent une reconnaissance égale à celle des dessinateurs, car leur contribution à l’art de la bande dessinée est, sans aucun doute, aussi précieuse.
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