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La bande dessinée : entre création, traduction et perception auditive.
La bande dessinée est un média unique qui combine des éléments visuels et textuels pour raconter des histoires d'une manière séquentielle. L'une des questions cruciales dans l'appréhension de cet art est la manière dont les sons et les bruits sont perçus et reproduits dans le cadre de la lecture et de la traduction. De nombreux auteurs et chercheurs, comme Thierry Groensteen et Klaus Kaindl, ont exploré cette complexité en soulignant l'importance de la perception auditive dans la lecture des bandes dessinées.
La bande dessinée : un art séquentiel et multimodal
Dès lors qu’on évoque la bande dessinée, il est essentiel de comprendre qu’elle repose sur la synergie entre les textes et les images. Will Eisner, pionnier du genre, considérait que la bande dessinée fonctionnait un peu comme un film, où les images et les sons collaborent pour créer une expérience immersive. Toutefois, contrairement au cinéma, la bande dessinée requiert une participation active du lecteur pour interpréter les mouvements et les sons qui n'existent pas réellement sur la page, mais sont imaginés par le lecteur.
L’idée de "séquentialité" est primordiale dans la bande dessinée. Chaque image, chaque case, suit un ordre précis qui permet au lecteur de reconstituer mentalement les sons et les mouvements. Groensteen, dans Système de la bande dessinée, parle d’un système "spatio-topique" où l'espace et la place des éléments visuels dans la page jouent un rôle fondamental pour guider le lecteur.
La traduction des sons : un défi complexe
La traduction des bandes dessinées soulève des défis particuliers, notamment en ce qui concerne la retranscription des sons et des onomatopées. Kaindl propose une analyse détaillée de ces problèmes en se concentrant sur cinq éléments clés : les titres, les dialogues, les narrations, les inscriptions et les onomatopées. Ce dernier point est particulièrement complexe car les onomatopées ne sont pas toujours faciles à catégoriser. Elles se situent souvent à mi-chemin entre le texte et l’image.
En bande dessinée, les sons sont représentés visuellement par des onomatopées qui traduisent des bruits d'actions ou d'émotions. Cependant, la manière dont ces sons sont perçus varie selon les cultures, et la traduction doit tenir compte de ces différences culturelles. Par exemple, dans l'album Astérix chez les Helvètes, les traducteurs Bell et Hockridge ont remplacé la mascotte d’Antar par Monsieur Bibendum, mieux connue au Royaume-Uni.
La perception auditive et la lecture subvocale
Un concept clé dans l’appréhension de la bande dessinée est celui de la "lecture subvocale", c'est-à-dire la capacité du lecteur à entendre les sons et les voix dans sa tête pendant la lecture. Ce phénomène repose sur des processus cognitifs complexes où la voix intérieure joue un rôle crucial pour interpréter les dialogues et les sons représentés. Les recherches montrent que cette voix intérieure permet au lecteur de rejouer mentalement les sons encodés dans le texte, ce qui donne à la bande dessinée son aspect sonore.
Le traducteur, lorsqu’il aborde une bande dessinée, doit donc prêter attention à ces aspects auditifs. La lecture rapide, ou idéographique, qui consiste à lire simplement pour saisir le sens général, risque de faire perdre cette dimension auditive. Au contraire, une lecture profonde, qui intègre la voix intérieure et la subvocalisation, permet de mieux comprendre l’ensemble des nuances sonores encodées dans le texte.
Les stratégies de traduction des onomatopées
La traduction des onomatopées en bande dessinée pose un problème particulier. Il est souvent difficile de conserver l'effet sonore d'une langue à une autre. Certains traducteurs choisissent de remplacer les onomatopées par des équivalents culturels qui parlent mieux au public cible, tandis que d'autres préfèrent créer de nouvelles onomatopées. Cependant, cette pratique peut parfois altérer l’intention originale de l’auteur.
Kaindl, dans son étude "Thump, Whizz, Poom", explore cette difficulté et souligne l'importance des éléments sonores dans la traduction des bandes dessinées. Il propose que les traducteurs doivent prendre en compte non seulement le sens linguistique des onomatopées, mais aussi leur effet sonore et visuel. Les onomatopées sont souvent imbriquées dans l’image, ce qui les rend difficiles à interpréter en dehors de leur contexte visuel.
En conclusion, la bande dessinée est un art qui exige une lecture approfondie et une perception auditive pour être pleinement apprécié. Que ce soit dans le cadre de la création ou de la traduction, l’aspect sonore joue un rôle essentiel dans l'expérience du lecteur. Le traducteur, en particulier, doit s’efforcer de rendre cette dimension sonore tout en respectant les contraintes visuelles et culturelles propres à chaque langue. C’est cette complexité qui fait de la bande dessinée un média si riche et fascinant.
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