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Le Japon face à son passé : mémoire, révisionnisme et manga.
La difficulté du Japon à accepter pleinement son passé, notamment les exactions commises pendant la Seconde Guerre mondiale, reste un sujet de débat à la fois national et international. Le poids du mouvement révisionniste y joue un rôle crucial, et dans le domaine du manga, Yoshinori Kobayashi en est l’une des figures emblématiques. Cet article se propose d’explorer les tensions liées à cette mémoire conflictuelle à travers le prisme des bandes dessinées japonaises, qui reflètent souvent les évolutions sociales et politiques du pays.
Un révisionnisme historique remis en question
Les récentes manifestations violentes en Chine, dénonçant le révisionnisme historique japonais, ont ravivé les tensions entre les deux nations. Ces protestations ont éclaté suite à la réédition d’un manuel d’histoire au Japon, accusé de minimiser les atrocités commises par l’impérialisme nippon entre 1937 et 1945. L’épisode illustre une tendance à l’« amnésie historique » qui persiste dans le pays, soutenue par une droite japonaise contestant ce qu’elle perçoit comme une « vision culpabilisante du passé ».
Ce n’est qu’en 1997 que la Cour suprême du Japon a reconnu pour la première fois l’illégalité de la censure gouvernementale sur un manuel scolaire relatant les crimes de guerre japonais. Depuis les années 1990, cependant, le révisionnisme s’est organisé en un « mouvement national » (« kokumin undô »), regroupant des figures influentes comme Nobukatsu Fujiyoka, professeur à l’université de Tokyo, des hommes politiques, des intellectuels et des hommes d’affaires. Soutenu par des médias tels que le Sankei Shimbun, ce mouvement s’est aussi tourné vers d’autres supports, notamment le manga, un vecteur idéal pour toucher un large public.
L’évolution du traitement de la Seconde Guerre mondiale dans les mangas
Une tradition antimilitariste
Jusqu’aux années 1980, les mangas traitant de la Seconde Guerre mondiale adoptaient majoritairement une perspective antimilitariste. Des œuvres comme Touché par la pluie noire (1968) et Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa, commencé en 1973 et publié en France chez Vertige Graphic, illustrent bien cette approche. Gen d’Hiroshima raconte l’histoire d’une famille vivant à Hiroshima, dont le père, pacifiste, prédit la défaite inéluctable du Japon. La narration dénonce l’idéologie guerrière et la propagande ayant trompé les populations japonaises. De même, Journal de fuite de Shigeru Mizuki s’inscrit dans cette veine pacifiste.
Une bascule vers le nationalisme
Avec le temps, une fierté relative à l’héritage militaire a émergé, en particulier parmi une jeunesse éloignée des souffrances directes de la guerre. Cette évolution a entraîné l’essor de mangas présentant une image positive des forces d’autodéfense japonaises (FAD). Depuis Chinmoku no kantai (Le vaisseau silencieux) de Kawaguchi Kaiji, paru en 1989, le genre a multiplié les histoires valorisant les FAD, parfois dans des contextes historiques fictionnels. Zipang, une œuvre du même auteur, met en scène un navire ultramoderne de la marine japonaise projeté en pleine guerre du Pacifique. Les protagonistes sont confrontés à des dilemmes éthiques, notamment celui de participer à un conflit susceptible de modifier le cours de l’Histoire.
Yoshinori Kobayashi : l’avocat du révisionnisme
Le révisionnisme a pris une dimension notable dans le manga avec Yoshinori Kobayashi et son Manifeste pour un nouvel orgueillisme, publié à partir de 1995 dans le bimensuel Sapio. Kobayashi, connu pour ses critiques incisives des pouvoirs publics, a développé dans Sensôron (De la guerre, 1998) une théorie controversée présentant l’expansionnisme japonais comme une guerre de libération des peuples asiatiques contre l’impérialisme occidental. Il minimise, voire nie, des événements tels que le massacre de Nankin, prétendant qu’ils auraient été falsifiés par les vainqueurs pour équilibrer les atrocités d’Hiroshima et Nagasaki.
Kobayashi réhabilite également les Tokkotai (forces spéciales d’attaque suicides), rejetant l’idée qu’ils étaient forcés ou drogués. Il soutient qu’ils étaient des héros volontaires, citant des lettres émouvantes pour étayer son propos. Cette vision, bien que largement critiquée, a trouvé un écho chez une partie de la population, fragilisée par la crise économique et en quête de repères traditionnels.
Le pouvoir de censure des révisionnistes
Le succès de Sensôron, avec plus de 500.000 exemplaires vendus en cinq ans, témoigne de l’impact du discours révisionniste. Cependant, les controverses ne manquent pas. En 2004, la maison d’édition Shueisha a suspendu la publication de Kuni ga Moeru (Le pays qui brûle) de Motomiya Hiroshi après des protestations concernant une représentation du massacre de Nankin. Bien que les faits aient été corrigés, l’incident montre l’influence des révisionnistes, capables de faire pression sur les éditeurs.
Conclusion
Le rôle du manga dans la diffusion des discours sur la Seconde Guerre mondiale reflète les tensions profondes de la société japonaise face à son passé. Entre antimilitarisme et révisionnisme, ces œuvres incarnent des visions contrastées qui continuent d’alimenter les débats sur la mémoire historique. Si des auteurs comme Keiji Nakazawa ou Shigeru Mizuki plaident pour une réflexion critique sur les horreurs de la guerre, d’autres, tels que Yoshinori Kobayashi, cherchent à réhabiliter un passé glorifié, alimentant une polarisation de l’opinion publique.
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