Depuis le 12 avril 2025, le Musée national de l'Automobile de Mulhouse accueille une exposition exceptionnelle...
Le manhwa en Corée : une richesse culturelle encore méconnue.
Bien que souvent éclipsée par la popularité des mangas japonais en Occident, la bande dessinée coréenne, ou manhwa, propose une richesse et une diversité qui méritent toute l’attention des amateurs de bandes dessinées. Avec plus de 9 000 titres publiés chaque année — dont 2 000 traduits en français — et 42 millions d’exemplaires vendus pour une population de 47 millions d’habitants, le manhwa est un phénomène culturel incontournable en Corée.
Une définition et des origines uniques
Le terme "manhwa" est utilisé depuis les années 1920, dérivé des mots japonais "manga" et chinois "lianhuanhua". Contrairement aux mangas, les manhwas se lisent de gauche à droite, adoptant ainsi un format plus familier aux lecteurs occidentaux. Les albums, généralement en format poche ou semi-poche, comptent entre 100 et 200 pages. Un lecteur assidu peut lire jusqu’à 1 400 manhwas par an, témoignant de l’engouement pour ce média.
Une esthétique influencée par la peinture traditionnelle
Profondément enraciné dans les traditions artistiques de l’Extrême-Orient, le manhwa se distingue par des traits épurés et légers. Cette esthétique raffinée reflète l’héritage de la peinture traditionnelle chinoise et coréenne. En termes de contenu, le manhwa aborde souvent des thèmes liés à l’histoire politique, économique et sociale de la Corée. Par exemple, Lee Du-ho dépeint dans les années 1980 la pauvreté et l’exode rural des paysans coréens dans ses récits poignants.
Les débuts du manhwa : entre caricature et censure
Les premières traces de bande dessinée en Corée remontent au Xe siècle avec "Bomyeongshiudo", un récit illustré mettant en scène une vache. Cependant, la bande dessinée imprimée n’émerge qu’à la fin du XIXe siècle, parallèlement à son apparition en France. En 1909, le caricaturiste Lee Do-yeong marque un jalon important avec la publication de "Saphwa" dans le journal Daehanminbo. Mais l’annexion de la Corée par le Japon en 1910 met brutalement un frein à cette évolution, la censure japonaise étouffant la créativité naissante des auteurs coréens.
Malgré cela, des figures majeures comme Kim Seong-Hwan, créateur de la série "Kobau" ("M. Ko le robuste"), émergent et contribuent à la satire sociale. Publiée pendant plus de 50 ans, "Kobau" raconte les péripéties d’un citoyen ordinaire confronté à des problèmes dépassant sa condition.
Le manhwa sous l’influence de la guerre et de la propagande
La domination japonaise des années 1920 et 1930 voit l’importation massive de mangas japonais en Corée, tandis que les manhwas locaux sont contraints de se plier aux exigences de propagande. Par exemple, des bandes dessinées incitaient à produire davantage de riz destiné à l’exportation vers le Japon. Malgré cette oppression, des auteurs comme No Su-hyeon et Ahn Seok-ju poursuivent leur production, explorant des thèmes sociaux et quotidiens.
Pendant la guerre de Corée (1950-1953), le manhwa devient un outil de propagande pour les deux camps. Après le conflit, les "takji manhwa", des bandes dessinées d’aventure bon marché, consolent les enfants traumatisés. Dans les années 1960, des séries comiques comme "Taengi" de Im Chang ou "Jumeok Daejang" de Kim Won-bin captivent le jeune public, tandis que Park Ki-dang explore la science-fiction avec "Yuseongin Gaus".
Les années de censure et la quête d’évasion
Le coup d’État de 1961 et la proclamation de la loi martiale en 1972 limitent considérablement la liberté des auteurs. Durant cette période, les manhwas se concentrent sur des récits historiques ou des séries pour enfants, offrant une échappatoire face à la réalité. Des classiques chinois et coréens adaptés par Go U-yeong et Bang Hak-ki connaissent un grand succès. Lee Du-Ho, avec "Eopungdae", reste fidèle à une représentation réaliste de l’histoire.
Le long récit narratif se développe également. Parmi les œuvres marquantes, "L’araignée chamane" de Heo Yeong-Man, relatant l’histoire d’un boxeur, et "Une redoutable équipe de baseball" de Lee Hyeon-se illustrent la persévérance et le dépassement de soi.
Une renaissance à partir des années 1980
La fin des années 1980 marque un tournant pour le manhwa. L’assouplissement du pouvoir en 1987 permet l’émergence de bandes dessinées réalistes abordant des problématiques rurales et urbaines. "Dooly le petit dinosaure" de Kim Su-jeong devient une icône culturelle, déclinée en produits dérivés et en comédie musicale. Dans les années 1990, le "sunjeong manhwa" (bande dessinée pour filles) renaît grâce à des autrices comme Shin Il-suk, Kang Gyeong-ok et Hwang Mi-na, cette dernière situant ses récits en Corée, une rareté dans le genre.
Une exploration de nouveaux styles
Depuis les années 1990, des auteurs "underground" redéfinissent le manhwa. "Snowcat" de Kwoon Yoon-Joo revendique l’individualisme et le droit à la solitude, tandis que Lee Hyang-woo et Iwan explorent des formes artistiques novatrices. Kim Jae-In popularise "Mashimaro", un lapin blanc dont les aventures sont diffusées en animation flash sur le web.
La diversité des modes de diffusion
Le manhwa bénéficie aujourd’hui de plusieurs canaux de diffusion : les ventes en librairie, les "manhwabang" (bibliothèques privées ouvertes 24h/24), Internet et les téléphones mobiles. Ces modes de distribution favorisent une diversité culturelle unique. Les "manhwabang", par exemple, offrent un espace où de petits éditeurs peuvent se faire connaître, tandis que des plateformes en ligne permettent de télécharger des planches moyennant un paiement électronique.
Une reconnaissance grandissante
Avec un chiffre d’affaires annuel avoisinant les 500 millions d’euros, le manhwa constitue un marché florissant. Trois festivals majeurs, dont le Séoul International Comics et le Bucheon International Comicbook Fair, célèbrent cet art en Corée. Cette reconnaissance s’étend progressivement à l’international, où le manhwa gagne en visibilité grâce à sa richesse narrative et artistique.
En définitive, le manhwa, avec ses racines profondes et son évolution constante, incarne une part essentielle de la culture coréenne, mêlant tradition et modernité dans des récits captivants et diversifiés.
Laissez un commentaire
Connectez-vous pour publier des commentaires