Les mythologies africaines dans la cartographie française au XIXe siècle : un instrument de domination coloniale.

L'étude de la cartographie coloniale française au tournant du XIXe siècle révèle un aspect méconnu mais essentiel de la domination européenne en Afrique : la création de mythologies à travers les cartes géographiques. Ces mythologies, que l'on pourrait qualifier de « mythologies de retour », sont des représentations imaginées par les colonisateurs et projetées sur le territoire africain comme s'il s'agissait de réalités inhérentes à ce continent. Deux grandes mythologies se dégagent de l'analyse de la cartographie coloniale : l'Afrique, vue comme une terre riche en ressources et en opportunités d'exploitation, et l'Afrique, considérée comme une terre vide de significations sociales ou politiques, à structurer et à développer par l'Occident.

La cartographie : un outil pour légitimer la domination coloniale

L'une des principales fonctions de la cartographie coloniale a été de légitimer la domination européenne en Afrique. En effet, les cartes produites durant cette période ne se contentaient pas de représenter le territoire de manière neutre ; elles imposaient une vision européenne de l'Afrique qui justifiait les entreprises coloniales. Les cartographes, par le choix des toponymes et la manière de représenter les paysages, réduisaient souvent l'importance des structures sociales et politiques locales, effaçant ainsi les identités indigènes au profit de valeurs occidentales.

Un exemple frappant de cette appropriation se trouve dans la manière dont les cartes françaises ont souvent représenté l'Afrique comme un territoire riche et exploitable. Cette vision, largement véhiculée par les explorateurs, militaires, et géographes européens, présentait l'Afrique comme une terre pleine de ressources naturelles, prête à être mise en valeur par les colons. Toutefois, cette richesse supposée n'était perçue que dans la mesure où elle servait les intérêts économiques des puissances coloniales.

Les cartes thématiques : une approche sélective et utilitaire du territoire africain

Contrairement à la cartographie topographique, qui cherche à représenter le territoire de manière exhaustive, les cartes thématiques produites durant la période coloniale avaient une fonction plus spécifique et utilitaire. Ces cartes mettaient en avant des aspects économiques et fonctionnels du territoire, souvent au détriment de la réalité complexe et diversifiée des sociétés africaines.

Par exemple, lors de l'Exposition coloniale internationale de Paris en 1931, il a été révélé que seulement 5 % du territoire de l'Afrique occidentale française avait été relevé de manière topographique régulière, tandis que 40 % du territoire restait encore largement inexploré. Cette sélection des zones à cartographier était motivée par les besoins économiques et administratifs des colons, qui se concentraient sur les régions riches en ressources ou stratégiquement importantes.

L'annulation des valeurs sociales africaines à travers la cartographie

La cartographie coloniale française n'a pas seulement déformé la réalité géographique du continent africain ; elle a aussi contribué à effacer les valeurs sociales et culturelles des populations locales. En remplaçant les toponymes indigènes par des noms européens ou en modifiant leur signification, les cartographes ont imposé une nouvelle réalité sur le territoire africain, ignorant délibérément les structures sociales existantes.

Par exemple, dans certaines régions de la Côte d'Ivoire, les relevés topographiques réalisés pour des concessions minières se sont appuyés sur les villages locaux comme points de référence géodésiques, sans pour autant reconnaître leur valeur sociale. Ces villages n'étaient utilisés que parce qu'ils constituaient des points fixes dans un paysage autrement uniforme et difficile à mesurer.

La cartographie entre science et propagande

Les cartes publiées dans les revues scientifiques de l'époque ont joué un rôle crucial dans la diffusion des mythologies coloniales. Présentées comme des documents scientifiques, ces cartes étaient souvent utilisées pour justifier les entreprises coloniales auprès du grand public européen. Elles véhiculent une vision de l'Afrique comme une terre riche, mais sous-exploitée, qui n'attendait que l'intervention européenne pour révéler son potentiel.

Un exemple notable est la carte économique des pays français du Niger, réalisée par Émile Baillaud et publiée en 1900. Cette carte, qui avait pour but de valoriser les régions agricoles et les routes commerciales du Soudan français, illustre comment la cartographie thématique a été utilisée pour soutenir les intérêts économiques des colons. La carte ne se contentait pas de représenter le territoire ; elle le structura selon une logique économique européenne, faisant fi des réalités locales.

Les mythologies « de retour » comme instrument de domination

En conclusion, la cartographie coloniale française a été un puissant outil de domination, non seulement en représentant le territoire africain selon des critères occidentaux, mais aussi en imposant des mythologies qui justifiaient l'entreprise coloniale. Ces mythologies, créées par les Européens et projetées sur l'Afrique, ont contribué à effacer les identités et les réalités locales, légitimant ainsi la colonisation. Les cartes, loin d'être de simples outils de représentation, ont joué un rôle central dans la construction d'une Afrique imaginaire, façonnée pour répondre aux besoins et aux désirs des puissances coloniales.