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Pierre-Louis-Paul Randon de Boisset : l’amateur d’art méconnu et sa passion pour les livres.
Randon de Boisset est un personnage intriguant du XVIIIe siècle, qui, malgré sa fortune et son influence, a longtemps été négligé dans les biographies historiques. Pourtant, ce collectionneur averti et amateur des beaux-arts a laissé derrière lui un héritage remarquable, tant par ses collections d’œuvres d’art que par sa bibliothèque exceptionnelle. Il est temps de redonner à cet homme érudit la place qu’il mérite dans l’histoire culturelle de son époque.
Un homme de loi devenu financier
Né le 25 octobre 1709 à Reims, Pierre-Louis-Paul Randon, baptisé à l'église Saint-Jacques de Reims, était destiné, comme tant d'autres à l’époque, à une carrière juridique. Après des études au collège, il devient avocat au Parlement en 1736. Cependant, ce chemin ne correspond pas aux attentes familiales. Influencé par ses parents, il abandonne le barreau et se tourne vers la gestion financière. Après avoir été receveur des Aides à Épernay, il atteint en 1757 une fonction prestigieuse : celle de fermier général, poste qu'il occupera brièvement avant de la céder à Jean-Baptiste Darnay, protégé de la marquise de Pompadour.
En devenant receveur général des finances de la généralité de Lyon en 1758, il se libère du temps pour s’adonner à ses véritables passions : les lettres et les beaux-arts. Loin d’être un simple financier, Randon de Boisset est un homme cultivé, passionné par la littérature et les arts. Son goût pour les collections – qu’il s’agisse de livres rares ou de tableaux – devient rapidement la marque de son existence.
Un collectionneur passionné
La passion de Randon de Boisset pour les livres et les œuvres d'art se développe dès les années 1740, bien avant qu'il ne commence à collectionner des tableaux à partir de 1752, lors de son premier voyage en Italie. Ce voyage lui permet de nouer des liens avec des artistes comme Joseph Vernet, dont il devient un proche. Un second périple en Italie en 1763, suivi d’une expédition en Hollande et en Flandre en 1766 avec le peintre François Boucher, renforcera son attrait pour l'art.
Son goût pour les arts est d’ailleurs évoqué par Denis Diderot, dans son célèbre Salon de 1767. L’auteur y décrit Randon de Boisset comme un homme "honnête" et "très-honnête", qui, malgré son peu d’estime pour le genre humain, s’intéresse aux sciences, aux lettres et aux arts. Diderot raconte également que Randon de Boisset, choqué par la rémunération démesurée qu'il percevait en tant que fermier général, finit par renoncer à ce poste prestigieux, préférant suivre ses véritables aspirations intellectuelles.
La collection de Randon de Boisset est alors reconnue pour sa richesse et sa diversité. Elle comprend des tableaux, des statues, des porcelaines et une impressionnante bibliothèque. Diderot précise que sa bibliothèque se composait de deux parties : l’une, destinée à la simple contemplation, comprenant des éditions somptueuses qu’il ne lisait pas, et l’autre, plus modeste, qu’il utilisait pour sa propre lecture et qu’il prêtait volontiers à ses amis. Cette distinction entre l’objet de prestige et l’objet utilitaire témoigne d’un goût raffiné et d’une approche particulière des livres, qui confère à Randon de Boisset une place à part parmi les bibliophiles de son époque.
La bibliothèque de Randon de Boisset
La vente de la bibliothèque de Randon de Boisset, après sa mort en 1776, est l’un des événements marquants de l’histoire du livre au XVIIIe siècle. Débutant le 3 février 1777 et s'étendant sur plusieurs semaines, cette vente proposa près de 1 450 lots, avec des ouvrages exceptionnels par leur rareté et la qualité des éditions.
Parmi les trésors de sa collection figurent des incunables remarquables, comme le Liber moralis imprimé par Nicolas Jenson à Venise en 1471, ou encore l’édition de 1474 de Naturalis Historia de Pline l’Ancien, également réalisée par Jenson. Le catalogue mentionne aussi des œuvres de Cicéron et Tacite, imprimées dans les années 1460, à l’époque où la typographie était encore une innovation récente.
L’un des ouvrages les plus célèbres de la vente est Le Recueil des Histoires Troyennes, un manuscrit gothique imprimé sur vélin et illustré de miniatures, vendu pour 760 livres, une somme considérable pour l’époque. Ce livre, issu de la collection de Gaignat, autre grand bibliophile du XVIIIe siècle, reflète l’importance qu’accordait Randon de Boisset aux œuvres d’une grande valeur historique et esthétique.
Les reliures de cette bibliothèque étaient, quant à elles, confiées aux meilleurs artisans, notamment à Derome père et fils, célèbres pour leur travail méticuleux et leurs dorures précises. Ces reliures en maroquin rouge, bleu ou vert, ornaient les ouvrages les plus précieux de la collection. Un témoignage d’époque raconte que Randon de Boisset achetait jusqu’à six exemplaires d’un même ouvrage afin de sélectionner le plus parfait d’entre eux. Sa quête de l’excellence, tant dans le choix des textes que dans leur présentation matérielle, souligne l’attention extrême qu’il portait à chaque détail.
La vente des œuvres d’art
Après la vente des livres, la vente des œuvres d’art de Randon de Boisset eut lieu en février 1777, attirant les plus grands amateurs d’art de l’époque. Son cabinet comprenait des œuvres de maîtres célèbres, ainsi que des objets d’art d’une rare qualité. Le catalogue de la vente, réalisé par Pierre Remy, mentionne des tableaux, des dessins, des sculptures en marbre, en bronze et en terre cuite, ainsi que des vases, des porcelaines et des meubles précieux.
L'ensemble de cette vente rapporta la somme impressionnante de 1 249 632 livres, témoignant de la valeur exceptionnelle des pièces qu'il avait rassemblées au fil des années.
Un héritage méconnu
Malgré ses richesses et ses contributions aux arts et aux lettres, Randon de Boisset reste une figure méconnue du grand public. Hormis quelques mentions dans des ouvrages comme l’Almanach historique et raisonné des architectes de 1777 et dans la Gazette littéraire de Grimm, sa vie n’a été que peu documentée jusqu’à récemment. Pourtant, grâce à des sources telles que l’acte de baptême conservé à Reims ou l’acte d’inhumation à Paris, ainsi qu’à des lettres de Denis Diderot, il est possible de reconstituer la trajectoire de cet homme qui a profondément marqué le monde des arts de son temps.
Pierre-Louis-Paul Randon de Boisset est un exemple fascinant d’un amateur éclairé du XVIIIe siècle, dont les collections de livres et d’œuvres d’art témoignent d’un goût exceptionnel. Son amour pour les lettres et les arts, soutenu par une grande fortune, a laissé une empreinte durable sur le monde de la bibliophilie et du collectionnisme. Grâce aux catalogues de ses ventes et aux œuvres qu’il a préservées, son nom perdure parmi les grands amateurs d’art de son époque, et il mérite aujourd’hui d’être redécouvert et célébré.
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