Les œuvres de William Shakespeare continuent de réserver des surprises, même plusieurs siècles après leur rédaction....
Will Eisner : pionnier du roman graphique et visionnaire de la bande dessinée.
En 1978, Will Eisner révolutionne la bande dessinée en donnant naissance à un genre à part entière : le roman graphique. Cette réinvention de l’art narratif en images intervient quarante ans après la création de "The Spirit", un super-antihéros qui a marqué l’histoire des comics. Portrait d’un artiste infatigable, à l’occasion des 20 ans de sa disparition.
Un talent précoce au service des comics
Will Eisner a bâti sa réputation dès les années 1930, période où il crée son propre studio, embauchant des talents tels que Bob Kane (futur créateur de Batman) et Jack Kirby (génie derrière Captain America). Visionnaire, Eisner choisit de garder les droits de ses personnages, une décision audacieuse dans un secteur où les éditeurs avaient l’habitude de déposséder les artistes de leurs créations. Cependant, il refuse d’embaucher Jerry Siegel et Joe Schuster, jugeant leur style trop immature, ratant ainsi l’opportunité d’être associé à Superman.
Mais c’est en 1940 qu’Eisner frappe un grand coup avec "The Spirit". Ce personnage s’écarte radicalement des canons classiques des super-héros : inspiré par les polars de Dashiell Hammett, Eisner propose un héros complexe, plongé dans des univers sombres, et adopte une approche narrative digne des grands films noirs. Ses décors méticulously détaillés, ses cadrages empruntés au cinéma expressionniste allemand et sa maîtrise du clair-obscur font de "The Spirit" une œuvre à part dans l’univers des comics. Entre 1940 et 1952, Eisner signe plus de 600 épisodes, poursuivant même son travail durant son service militaire pendant la Seconde Guerre mondiale.
La guerre et l’évolution des comics
Durant la guerre, Eisner se consacre à un projet original : l’utilisation des comics comme outil pédagogique. Il crée Joe Dope, un personnage maladroit mais attachant, pour enseigner aux soldats la maintenance de leur matériel. Bien que pacifiste et opposé aux conflits menés par les États-Unis, Eisner voit dans ce travail une manière d’épargner des vies. Son approche innovante dans l’éducation par le visuel trouve un écho inattendu lorsque des soldats lui attribuent la sauvegarde de leur équipement et, parfois, de leur vie.
La rencontre avec une nouvelle génération
En 1971, Denis Kitchen, figure de l’underground et éditeur respecté, propose à Eisner de réimprimer "The Spirit". Cette rencontre marque un tournant pour l’artiste. Inspiré par la liberté créative des jeunes dessinateurs, Eisner décide d’abandonner progressivement ses projets commerciaux pour se consacrer pleinement à l’art. À l’âge de 60 ans, il redécouvre le plaisir de dessiner pour explorer des thèmes plus personnels et profonds.
L’avènement du roman graphique
En 1978, Will Eisner publie Un contrat avec Dieu, une œuvre marquée par le décès tragique de sa fille. Ce récit poignant, où il aborde la foi et la désillusion, déroute les libraires, qui ne savent où le classer. Ni tout à fait un comic, ni un roman, cette publication inaugure un nouveau genre : le roman graphique. Eisner s’engage dès lors dans une production prolifique, publiant une vingtaine d’œuvres jusqu’à sa mort. Parmi ses titres les plus célèbres figurent Le Rêveur et Au cœur de la tempête, deux albums autobiographiques retraçant son enfance dans le Bronx et ses débuts dans l’industrie des comics.
L’engagement d’Eisner pour des thématiques sociales transparaît dans des œuvres comme Fagin le Juif, qui réhabilite un personnage de Oliver Twist, ou Le complot : l’histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion, une dénonciation magistrale de l’antisméitisme. Ses œuvres reflètent une profonde empathie pour les populations marginales, un thème récurrent dans son travail.
Un héritage inégalé
Parallèlement à sa carrière d’auteur, Will Eisner partage ses connaissances en enseignant à la School of Visual Arts de New York. Il publie trois ouvrages théoriques sur "l’art séquentiel", devenus des références pour les dessinateurs.
L’impact d’Eisner sur la bande dessinée est tel que le prix le plus prestigieux du secteur porte son nom : les "Eisner Awards". Lui-même a été récompensé par trois de ces prix avant de s’éteindre en 2005, à l’âge de 88 ans. Depuis, son œuvre continue d’inspirer des générations d’artistes et de lecteurs. En 2017, le Festival de la bande dessinée d’Angoulême lui a consacré une exposition rendant hommage à son immense contribution au neuvième art.
Will Eisner était bien plus qu’un dessinateur de comics : il était un visionnaire, un conteur hors pair et un innovateur qui a su redéfinir les limites de son art. De The Spirit à ses romans graphiques, son travail résume une vie entière consacrée à élever la bande dessinée au rang d’art à part entière.
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