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Le manga à travers les siècles.
L’histoire du manga, un terme aujourd'hui incontournable dans le paysage culturel mondial, plonge ses racines dans une tradition artistique ancienne et complexe. Souvent associé au maître japonais Hokusai, le mot « manga » apparaît pour la première fois en 1814. À l’origine, ce terme ne désignait pas une bande dessinée telle que nous la connaissons aujourd'hui, mais une série de quinze carnets de dessins réalisés par Hokusai en marge de sa production d’estampes. Ces « images dérisoires » ne cherchaient pas à raconter une histoire, mais plutôt à capturer des scènes du quotidien et à explorer les légendes et le folklore fantastique du Japon.
Des origines du manga à la bande dessinée japonaise
Si le terme « manga » s’est progressivement imposé, il est important de souligner que l'apparition de la bande dessinée au Japon, dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui, remonte à 1862. C’est à cette date que l'anglais Charles Wirgman fonde le Japan Punch, en hommage au Punch londonien. Ce titre marque une étape essentielle dans l’évolution de la bande dessinée au Japon. On commence alors à parler de « Punch-e » (littéralement, « dessin de Punch »), de « giga » (« caricature »), voire de « toba-e », en référence à un style de peinture de l’ère Edo. Ce dernier terme devient d’ailleurs le nom d’une revue satirique fondée en 1887 par le français George Bigot à Yokohama. Il faudra toutefois attendre le début du XXe siècle pour que le terme « manga » s’impose véritablement. En 1902, Kitazawa Rakuten lance le Jiji Manga, un supplément dominical en images du journal Jiji Shimpô, marquant ainsi la véritable naissance de la bande dessinée japonaise.
L’évolution du manga après la Deuxième Guerre mondiale
Après la Deuxième Guerre mondiale, une nouvelle ère s’ouvre pour le manga. Tezuka Osamu, souvent surnommé le « dieu du manga », révolutionne le genre avec des œuvres destinées principalement aux enfants, baptisées « story manga ». Cependant, le manga ne tarde pas à s’adresser à un public plus adulte. En 1957, Tatsumi Yoshihiro, au sein d’un groupe d’auteurs d’Osaka, introduit le concept de « gekiga », littéralement « images dramatiques ». Ce terme, qui désignait au départ des récits plus sombres et sérieux, finit par représenter dans les pays occidentaux une forme de manga d’auteur, souvent opposée à la production plus commerciale.
La transformation du terme « manga » et son usage en Occident
Avec le temps, le terme « manga » a lui-même évolué. La graphie en kanji, qui portait le sens d’« images dérisoires », a été progressivement remplacée par une graphie en katakana, plus neutre. Ce phénomène illustre un changement de perception du manga au Japon, où il est parfois même supplanté par le terme « comics ». Cette évolution n’est pas seulement linguistique, elle est aussi culturelle. En France, le mot « manga » a pris une signification plus large, évoquant à la fois les bandes dessinées japonaises et leurs adaptations animées diffusées à la télévision. Cette confusion, associée à l’aspect commercial du manga, a conduit certains auteurs, comme Frédéric Boilet, à revendiquer un « Nouvelle Manga » à travers un manifeste publié en 2001, visant à dissocier les œuvres d’auteurs de la production stéréotypée et grand public.
La culture manga et son impact en France
En parallèle, une véritable « culture manga » s’est développée en Occident, englobant non seulement les bandes dessinées et les animés, mais aussi des phénomènes tels que le cosplay, la J-pop, les jeux vidéo, et même le catch japonais. Cette culture s’exprime pleinement lors d'événements comme la Japan Expo, qui attire chaque année des milliers de fans. En 2005, l'impact de cette culture est tel que la marque Garnier utilise l’imagerie manga pour promouvoir son gel coiffant Fructis Style, permettant à chacun de se créer un « Manga look » avec des mèches en pointe.
L’arrivée du manga en France : une révolution culturelle
L’introduction du manga en France est marquée par la publication d’Akira par Glénat en 1990, rapidement suivie par Dragon Ball. Ces œuvres ouvrent les portes à une tradition de bande dessinée encore inconnue dans le pays, avec des caractéristiques radicalement différentes des productions franco-belges. Dragon Ball devient rapidement l'archétype de l'« esthétique manga », avec une narration dynamique, un style graphique distinctif (grands yeux, chevelures en pointe), et une omniprésence de la violence et de la sexualité. La parution en 1996 de Dreamland Japan par Frederik Schodt scelle cette vision d’une production manga industrialisée à l’extrême, décrivant une frénésie de lecture au Japon où la bande dessinée est omniprésente, avec une moyenne de 15 revues ou recueils « consommés » par habitant et par an.
Le déclin du marché du manga au Japon
Malgré cette frénésie, le marché japonais du manga connaît un déclin après avoir atteint son apogée en 1995. Le tirage du Shônen Jump, qui atteignait alors 6 millions d’exemplaires hebdomadaires, chute à 2,8 millions en 2013. Ce recul, marqué par 18 années consécutives de baisse, reflète la fin de l’âge d’or du manga, autrefois soutenu par le miracle économique japonais. En 2013, le marché du manga au Japon représente 367 milliards de yens, soit 2,57 milliards d’euros, loin des sommets atteints deux décennies plus tôt.
Les débats autour du manga en France
L’arrivée massive du manga en France ne se fait pas sans susciter des débats. Dès 1996, Pascal Lardellier, dans un texte publié dans Le Monde diplomatique, exprime les inquiétudes culturelles liées à cette production, qu’il considère comme une menace pour la culture occidentale. Ces inquiétudes sont ravivées au milieu des années 2000, lorsque Gilles Ratier, dans son rapport annuel sur le marché de la bande dessinée, parle de « mangalisation ». En 2005, le manga représente plus de 42 % des nouveautés en France, et un enfant sur deux entre 9 et 13 ans lit des mangas. Cette domination est perçue par certains comme une menace pour la diversité culturelle, à l’instar d’Albert Uderzo qui, dans le 33e album d’Astérix, Le Ciel lui tombe sur la tête, critique les mangas de manière caricaturale.
Une intégration progressive et la naissance du manga d’auteur
Cependant, avec le temps, le manga finit par s’intégrer pleinement dans le paysage éditorial français. En 2007, Nonnonbâ de Mizuki Shigeru remporte le prix du meilleur album, marquant une reconnaissance officielle du manga d’auteur en France. Cette évolution est symbolique d’un changement de perception, où le manga n’est plus seulement une lecture sulfureuse, mais un genre riche et varié, capable de rivaliser avec les meilleures productions franco-belges.
En 2008, Vincent Bernière, dans un hors-série de Beaux-Arts Magazine, affirme que défendre le manga est un combat d’arrière-garde. Le manga a acquis ses lettres de noblesse, comme en témoigne la place croissante de la bande dessinée japonaise dans des publications prestigieuses comme Le Monde diplomatique. Aujourd'hui, des figures comme Tezuka Osamu, Taniguchi Jirô, ou encore Ôtomo Katsuhiro sont reconnues pour leur contribution à la bande dessinée mondiale, renforçant l’idée que le manga est bien plus qu’un simple produit commercial, mais un art à part entière.
Le manga, entre tradition et modernité
Le manga, qui a parcouru un long chemin depuis les carnets d'Hokusai jusqu'à la reconnaissance internationale, est le reflet d'une culture riche et diversifiée. Il incarne à la fois l’héritage d’une tradition artistique japonaise et l’expression d’une modernité qui a su conquérir le monde. Alors que les débats autour de son influence et de sa place dans le paysage culturel français se sont apaisés, le manga continue de séduire de nouveaux lecteurs, témoignant de sa capacité à évoluer tout en restant fidèle à ses racines.
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