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Le marsupilami : symbole d’aventure et de liberté dans l’œuvre de Franquin.
Le Marsupilami, créature emblématique de la série Spirou et Fantasio, symbolise une innovation majeure dans l'univers de la bande dessinée. Dès sa première apparition dans Spirou et les héritiers, publié en 1952, cet étrange animal à la queue démesurée capte l'imagination des lecteurs par son exotisme et son caractère imprévisible. À travers cet article, nous allons explorer les éléments de cette introduction singulière du Marsupilami, tout en analysant son importance dans l'œuvre de Franquin, mais aussi sa relation avec les créateurs qui l'ont précédé, en particulier Jijé.
La naissance du mythe du Marsupilami
L'idée du Marsupilami naît dans un cadre inattendu : un atelier d'artistes à Bruxelles, dirigé par Joseph Gillain, alias Jijé. C'est là que se rencontrent Franquin, Morris et Will, futurs piliers de l'école de bande dessinée belge. Au sein de cet atelier, les jeunes dessinateurs échangent des idées, rivalisent d'inventivité et puisent dans des références culturelles variées pour forger un univers propre. L'anecdote célèbre, qui voit Franquin imaginer un animal doté d'une queue interminable inspirée par les tramways bruxellois, illustre parfaitement cet environnement de création collective et effervescente.
Pourtant, la première apparition du Marsupilami dans Spirou et les héritiers ne suscite pas l'étonnement que l'on pourrait attendre. Malgré les nombreux avertissements sur l'inaccessibilité de la créature, la découverte se déroule sans grande péripétie. Ce paradoxe, où l'animal fabuleux est présenté comme une formalité, reflète en partie la structure narrative improvisée de Franquin. L'auteur ne semble pas, dans ce premier volume, saisir toute la portée de son invention. Cependant, le potentiel du Marsupilami s'impose rapidement, en partie grâce à la fascination qu'exerce sa célèbre queue, première manifestation graphique de l'animal.
Le Marsupilami dans le zoo de Franquin
Une fois le Marsupilami introduit dans l'univers de Spirou et Fantasio, la créature se voit rapidement mise en cage, littéralement dans Les voleurs du Marsupilami, où l'animal, capturé, est enfermé dans un zoo. Cette décision narrative interpelle : comment un animal aussi extraordinaire peut-il être ainsi emprisonné, réduit à l'état d'attraction de foire ? Ce traitement semble paradoxal, mais révèle une dimension essentielle du personnage : le Marsupilami, malgré sa nature sauvage, est constamment ramené à un cadre civilisé, où il devient source de chaos.
Franquin, cependant, ne peut se résoudre à faire du Marsupilami un simple pensionnaire de zoo. L'animal devient rapidement l'objet d'une nouvelle quête pour Spirou et Fantasio, dans laquelle il retrouve sa liberté en fin d'album. À chaque fois, la structure des récits de Franquin tend à ramener l'animal dans son cadre naturel, ou du moins à tenter de le domestiquer, avant qu'il ne s'en échappe.
Une influence transatlantique
Il est important de noter l'influence des bandes dessinées américaines sur la création du Marsupilami. Franquin, dans ses premières années, est marqué par des figures comme Walt Disney et Floyd Gottfredson, l'animateur emblématique de Mickey Mouse. Le personnage du Marsupilami rappelle d'ailleurs le Jeep, une créature de Popeye capable de se téléporter et de défier les lois de la physique. Franquin puise dans ce répertoire de personnages excentriques et énergétiques pour créer une figure emblématique de la bande dessinée européenne.
Néanmoins, si Franquin s'inspire des créations américaines, il impose son propre style, mêlant aventure et humour avec une précision narrative qui le distingue. En ce sens, le Marsupilami devient un symbole de l'équilibre entre l'héritage d'une bande dessinée humoristique et l'ambition de créer un univers riche et complexe.
Le Marsupilami : symbole de liberté
Le Marsupilami, dans toute sa vitalité et son caractère incontrôlable, devient également une figure de résistance face à l'ordre établi. À une époque où la Belgique se relève encore des affres de la guerre, le Marsupilami incarne une forme d'indépendance, d'anarchie joyeuse. Sa capacité à défier l'autorité et à transformer les situations les plus rigides en farce chaotique rappelle, en filigrane, l'esprit de liberté qui traverse l'après-guerre en Europe.
Il est intéressant de noter que cette résistance au conformisme fait écho à la situation de la bande dessinée elle-même. Longtemps considérée comme un art mineur, la bande dessinée gagne progressivement en reconnaissance. Franquin, avec des personnages comme le Marsupilami, contribue à cette légitimation en insufflant à ses œuvres une profondeur narrative et thématique inédite.
La disparition du Marsupilami
Au fil des albums, le rôle du Marsupilami évolue. De simple animal exotique, il devient un personnage central, souvent utilisé comme un levier narratif pour introduire le chaos ou la résolution inattendue d'une situation. Toutefois, cette omniprésence finit par poser problème à Franquin. L'auteur se retrouve pris au piège de sa propre création, incapable de maintenir l'équilibre entre le Marsupilami et le reste de l'univers de Spirou et Fantasio.
C'est ainsi qu'après Panade à Champignac (1967), Franquin décide de retirer le Marsupilami de la série. Ce choix marque une rupture dans l'œuvre de l'auteur, mais aussi dans l'évolution de la bande dessinée franco-belge. Le Marsupilami, à la fois trop puissant et trop incontrôlable, s'éloigne de la scène, non sans avoir laissé une empreinte indélébile dans l'histoire du neuvième art.
Le Marsupilami, dans sa création et son évolution, représente un des moments les plus marquants de l’œuvre de Franquin. À travers cette créature fabuleuse, l’auteur réussit à mêler aventure, humour et critique subtile de la civilisation. En enfermant puis libérant régulièrement le Marsupilami, Franquin nous invite à réfléchir sur les tensions entre ordre et chaos, entre domestication et liberté, entre civilisation et nature.
Si le Marsupilami a disparu des pages de Spirou, il reste néanmoins l'un des symboles les plus emblématiques de la bande dessinée européenne.
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